Architecture

Les grands ensembles de logements peuvent-ils encore faire rêver?

23 Mai 2023

Parfois planifiée il y a 10, 20 ou 30 ans, une génération de nouveaux quartiers voit le jour en Suisse romande. L’enjeu pour les architectes est de réhabiliter l’image des grands ensembles d’habitation et d’appliquer des concepts d’urbanisme qui puissent nourrir de manière positive l’imaginaire collectif sur la ville de demain. Quelques exemples.

 

© Wikipedia

Meyrin, première Cité satellite de Suisse. La commune a reçu le prestigieux Prix Wakker en 2022 car elle a réussi à créer une culture du bâti de qualité apportant pour tous davantage de biodiversité.

 

Dans l’imaginaire collectif, le grand ensemble de logements est souvent associé à l’image de la barre d’immeubles et à la cité dortoir. Il est aussi souvent lié à la construction à bas coût des années 50-70.  En effet, jusqu’au choc pétrolier de 1973, plusieurs villes suisses planifient leur extension par la construction de bâtiments à grande échelle pour répondre à la pénurie de logements. À partir de 1960, Meyrin entame une métamorphose complète et devient la première Cité satellite de Suisse, construite selon des idées urbanistiques inspirées par Le Corbusier. Ailleurs en Suisse romande, on répond également à la pression démographique dans un contexte de croissance économique par la création de grands ensembles.En témoigne, par exemple, le quartier du Lignon (Vernier) qui avec ses plus d’1 km d’appartements est souvent considéré comme l’une des plus grandes cités d’Europe.  Dans l’Ouest Lausannois, les grands ensembles que sont les immeubles de Mont-Goulin (Prilly), En Publiaz, Bois du Caudray, IPLM Bourg-Dessus (Renens), la Cité Caroll (Onex) sont aussi des exemples.

 

Ces projets d’après guerre ont tous leurs spécificités architecturales (voir par exemple Le rapport du bâti de l’Ouest Lausanois de Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne). Cependant, le boom constructif proposait surtout des formes d’habitation standardisées, à la construction préfabriquée et à la typologie destinée principalement à un couple avec de jeunes enfants. Des standards qui s’accommodaient parfois mal d’autres modes et phases de vie.

 

Les critiques actuelles dénoncent également l’échelle des projets qui induirait un anonymat et une atmosphère froide, inhospitalière et monotone. La morphologie du bâti développée en hauteur et de façon souvent identique, crée des lieux uniformes et renforcent le sentiment d’une architecture déshumanisante.

 

Certes, les grands ensembles suisses ont relativement bien réussi à être des lieux de mixité sociale (Le Lignon par exemple). Mais la pression démographique qui sous-tend la construction de grands ensembles d’habitation aujourd’hui fait craindre que l’on bâtisse des quartiers de logements monofonctionnels, dépourvus d’espaces de rencontres ou de commerces.

 

Pour autant, en Suisse romande des quartiers d’immeubles colossaux continuent de voir le jour afin de faire face à l’accroissement de la population à l’instar des quartiers Quai Vernets (Genève), Quartier de l’Etang (Vernier), Belle-Terre (Thônex), Les plaines-du-loup (Lausanne)… Désormais il ne s’agit plus, comme après-guerre, de planifier la croissance en construisant sur des terrains agricoles dans une logique d’étalement urbain sans limites.  Bien qu’il résulte souvent de décisions politiques passées, le grand ensemble résidentiel est envisagé comme une réponse immobilière parmi d’autres.  Il figure ainsi parmi un large panel de solutions pour face à la pression démographique comme le logement collectif rural et la surélévation de maisons, qui relèvent davantage du principe de la densification douce, ou encore la transformation d’immeubles dans l’idée de construire la ville sur la ville.

 

© Losinger Marazzi SA

Futur quartier Quai Vernets sur le site de l'ancienne caserne.

 

Pour réussir le pari d’une densification urbaine via le grand ensemble d’habitation, l’enjeu pour les architectes est de définir un nouveau vocabulaire et de nouvelles typologies, en phase avec les aspirations de la population. Changer le regard du public sur les projets résidentiels denses, en faire des lieux de vie qui font rêver, constituent une condition sine qua non sans laquelle il ne sera pas possible de construire de villes durables n’empiétant pas (trop) sur le territoire.

 

Cet exercice architectural passe autant par un travail sur la morphologie des immeubles que sur le programme et les typologies à proposer. Par exemple, il s’agit de qualifier les espaces libres entre les bâtiments, autrefois réduits au simple usage de déplacement, pour en faire des espaces publics destinés à favoriser les interactions sociales. Enfin, les bâtiments se doivent d’être envisagés en termes d’intégration au tissu urbain et à l’environnement naturel proche.

 

L’exemple d’un morceau de ville entre urbanité et campagne  

 

©Daniele Rocco. Parution Ec2/2023

Le quartier Belle-Terre à Thônex.

 

Le quartier Belle-Terre à Thônex accueillera 2700 logements en 2030. Il se présente d’ores et déjà comme un ensemble d’immeubles entre ville et campagne. Au milieu des champs, ce grand ensemble posé sur un territoire vierge de toute urbanisation préalable, donne le sentiment d’être loin de la ville malgré le proche arrêt de bus.

 

Les quatre immeubles déjà construits ne sont ni disposés en barre, ni en plots (répétition d’unités simples), mais dans un entrelacs complexe de bâtiments de formes et de tailles diverses. La forme des bâtiments cherchent à embrasser le paysage, sans figer de limites entre zone périurbaine et campagne, comme en témoigne notamment les murets bas qui délimitent les jardins. L’usage restreint de la voiture invite également à ralentir le pas.

 

Avec l’atelier Bonnet architectes comme chef d’orchestre du concept urbain au côté des pilotes du projet, c’est un véritable laboratoire conceptuel qui a été mis en œuvre pour développer les deux premières pièces urbaines (A2 et B), puis la réalisation des architectures et des espaces publics. Ainsi, quatre bureaux d’architectes différents ont été mandatés pour réaliser ce nouveau morceau de ville: Atelier Bonnet ArchitectesLin.Robbe.Seiler avec BLSAJaccaud + AssociésBCMA Arcitectes. Pourtant, l’ensemble du quartier Belle-Terre donne à voir une grande cohérence esthétique (dans les façades par exemple) et une approche commune pour faire rimer densité et qualité de vie.

 

Le quartier a ainsi été conçu pour offrir de multiples possibilités d’appropriation. Il offre une relative diversité fonctionnelle (bureaux, épicerie) et des logements. De plus, il a été bâti de sorte que puissent se déployer bien des situations pour les habitants. À l’intérieur, les immeubles présentent diverses typologies d’appartements. À l’extérieur, les aménagements créent une multitude d’expériences significatives. Les cinq jardins, les deux cours, les places de jeux, les variations d’itinéraires et les passages offrent autant de liberté de mouvements que d’opportunités de rencontres. Autant de possibilités de faire usage des lieux de manière qualitative.

 

 

L’exemple d’une ville du quart d’heure

 

© David Mayenfisch. Parution CB4/2021

Quartier de l'Etang à Vernier.

 

L’expression « ville du quart d’heure », parfois appelé « ville compacte » en urbanisme, désigne les grands ensembles d’immeubles mixtes, où tout ce qui est essentiel à la vie est accessible en quinze minutes à pied ou à vélo. Tel est le cas du quartier «Évolution+ / Quartier de l’Étang» à Vernier, lancé en 2009 et piloté par la société Urban Project SA.

 

Il s’agit d’un projet des superlatifs. Tant par sa taille que par son budget estimé à plus d’un milliard de francs, sa rapidité d’exécution et son ambition urbanistique: revaloriser une friche industrielle de près de 12 hectares sur la commune de Vernier en la transformant en un quartier dense, mixte, dynamique, évolutif et durable.

 

Ce méga projet prévoit ainsi 870 logements, trois hôtels, une résidence pour étudiants et une pour seniors, un groupe scolaire, une crèche ainsi que 2500 places de travail. Pour réussir à bâtir un tel ensemble, le concept urbain propose une ville en deux couches. Avec un «socle urbain» de quatre niveaux –en référence à la ville européenne des 18 et 19es siècles – et des «émergences» que composent les étages supérieurs des bâtiments.

 

La mixité se trouve donc au cœur du projet architectural et urbain. Elle définit l’espace public en offrant une continuité visuelle entre les différents éléments du quartier, tout en modulant les densités, les ambiances et les identités architecturales des bâtiments. C’est ainsi qu’est produite une grande diversité propre aux centres urbains.

 

L’exemple d’un écoquartier géant 

 

©Daniele Rocco. Parution EC2/2023

Quartier Les Plaines-du-Loup à Lausanne.

 

Le concept de quartier durable ou d’écoquartier renvoie à un ensemble de bâtiments prenant en compte des exigences concernant l’énergie, l’environnement, le « vivre ensemble » et la mixité sociale. Il suggère une autre façon de vivre en ville comme en témoigne le projet d’écoquartier à grande échelle Les Plaines-du-Loup sur les hauts de Lausanne.

 

En 2034, cette zone devrait abriter 3 500 logements (et 8000 habitants), des commerces, des espaces verts (dont une forêt urbaine!) et des activités de proximité (sportives…). Le plan schématique de l’écoquartier a été élaboré par Tribu architecture. Il renoue avec le concept d’îlot qui a généré de nombreux ensembles bâtis datant des années trente à Lausanne. Cependant aux Plaines-du-Loup, les architectes responsables de chaque bâtiment expérimentent de nombreux concepts d’urbanisme au point que l’on peut considérer le quartier comme un laboratoire d’idées architecturales.

 

Parmi les immeubles d’habitation déjà construits se trouvent le projet « Louvoyons » (du bureau LRS architectes) et l’immeuble en PPE nommé OAK Park (L-Architectes). On peut également mentionner la pièce Métamorphose avec des logements subventionnés (cBmM architectes) ainsi que les bâtiments réservés à des coopératives d’habitation participatives que sont le Bled (Tribu architecture) et La Meute (Lx1 architecture). Destinés à offrir à leurs membres les meilleures conditions de logement possibles à moindre coût, ces coopératives d’habitation sont conçues de manière à ce que les habitants puissent partager certains espaces avec, par exemple, la création de longues coursives qui relient les appartements en façade (plutôt que des balcons individuels séparés).

 

Au-delà des caractéristiques architecturales propres à chaque construction, ce sont les projets de vie dessinés par les architectes  – en collaboration avec les hommes politiques, les professionnels et les citoyens – qui marquent une profonde différence avec les grands ensembles d’après-guerre. Ainsi, le quartier des Plaines-du-Loup est conçu pour accueillir diverses catégories de population grâce à la création de logements en PPE, en location et en coopérative. À cette mixité, s’ajoute la volonté de favoriser le « vivre ensemble » par la création de lieux de rencontres. L’immeuble OAK, par exemple, comprend une salle de fitness, une salle des fêtes, un salon commun en lien avec une terrasse, tout ceci en plus de spacieux appartements privés. Et cette convivialité est également pensée à l’échelle du quartier puisque les coopératives d’habitation proposeront des événements culturels ouverts à tous.

 

Enfin, pour donner un autre exemple de concept architectural innovant, citons la « flexibilité d’emblée » prévue par certains projets. Dans le cas de l’immeuble OAK, il a ainsi été choisi de proposer des plans permettant, à l’avenir, de transformer, agrandir, rétrécir les appartements sans avoir à effectuer de modifications importantes.

 



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