Architecture

Une coopérative bâtie avec les habitants

31 Jan 2023

Bâtir et habiter ensemble! Dans le Jura vaudois la coopérative DomaHabitare part à la recherche d’un nouveau paradigme de l’habiter. En partie autoconstruit et conçu de manière collective, ce projet à Sainte-Croix se place à contre-courant des standards actuels.

 

© Corinne Cuendet. Parution CB3/2022.

Coopérative DomaHabitare. Façade sud.

 

© Corinne Cuendet. Parution CB3/2022.

Coopérative DomaHabitare à Sainte-Croix. Façade sud.

 

Dix appartements traversants répartis sur quatre étages, des coursives extérieures, une exposition sud/est qui tire profit de l’ensoleillement et de la vue sur les Alpes. Sur le papier, cette maison collective peut paraître ordinaire. Et pourtant, son apparence singulière traduit un tout autre discours.

 

La façade sud arbore une enveloppe transparente faite de fenêtres de tailles et de couleurs variées, de panneaux solaires et de polycarbonate ondulé. Derrière: une structure en bois avec le moins de porteurs possibles et deux colonnes techniques, le tout couronné d’un arc en plein cintre.

 

Ce langage hétéroclite est le résultat d’une étroite collaboration entre les fondateurs de la coopérative et l’architecte Christian Jelk; un architecte qui se place aux antipodes des pratiques parfois directives et normées de la discipline. Bâtir et habiter ensemble: c’est l’idéal qui a guidé le projet. La conception et la construction se sont faites de manière collective et progressive, faisant de cette construction un objet unique en son genre.

 

© Corinne Cuendet. Parution CB3/2022.

Coopérative DomaHabitare.

 

© Corinne Cuendet. Parution CB3/2022.

Coopérative DomaHabitare.

 

Dès le départ, le projet a été pensé en double peau, inspiré notamment par la Cité Manifeste de Lacaton & Vassal à Mulhouse. Une grande enveloppe transparente dissociée des murs des logements génère des espaces «entre-deux», soit des coursives au nord et de profondes vérandas au sud. En créant ce vide collectif appropriable librement par les habitants, le projet a pour ambition de générer un espace de liberté qui offre des lieux potentiels d’échange. Le reste des quatre étages peut ensuite
être occupé librement.

 

Le concept de double peau permet d’augmenter les surfaces habitables des appartements en fonction des saisons. En été, un appartement de 70m2 peut ainsi s’étendre sur 120m2.

 

© Corinne Cuendet. Parution CB3/2022.

Coopérative DomaHabitare.

 

© Corinne Cuendet. Parution CB3/2022.

Coopérative DomaHabitare.

 

Les murs sont réalisés en briques de terre crue, facilitant ainsi leur éventuel démontage. Les habitants, qui ont eux-mêmes façonné ces briques, définissent la position et montent les murs des logements. Ainsi, les relations humaines se forgent en même temps que l’espace se matérialise. L’espace vécu et l’espace conçu se constituent ensemble, autour d’une intelligence collective. Cela produit un objet singulier qui reflète des envies très diverses, à l’instar des parois en tavillons ou encore de la voûte sarrasine qui recouvre l’escalier.

 

Coopérative DomaHabitare.

 

© Corinne Cuendet. Parution CB3/2022.

Coopérative DomaHabitare.

 

Un écosystème entre autonomie et interdépendance

 

Au point de départ du projet réside la volonté d’un habitat qui relie les habitants à l’environnement extérieur. Cette relation ne se limite pas à un espace vert ou un jardin potager, toutefois présents dans le projet. La relation à la nature est ici pensée dans sa globalité à travers divers moyens.

 

Tout d’abord, la conception en double peau génère une épaisseur qui permet une porosité entre la cellule d’habitat et le monde extérieur.

 

Deuxièmement, l’utilisation de matériaux naturels laissés bruts (bois, paille, terre crue, chaux, etc.), sans traitements chimiques, améliore considérablement le confort des habitants. Du béton reste néanmoins présent pour la cage d’ascenseur et de manière mixte dans les dalles.

 

Enfin, la récupération de l’eau de pluie pour un usage direct au robinet et l’installation de toilettes sèches dans l’ensemble des appartements – une petite prouesse pour un immeuble de plusieurs étages – relie les occupants à l’environnement.

 

Dans cette maison collective, on vit donc en harmonie avec les cycles de la nature et de l’être humain. Cette attitude s’inscrit de fait dans une démarche écologique et low-tech qui réfléchit à tous les cycles de production engendrés par l’humain. Autant que possible, le bâtiment fonctionne en autosuffisance ; une réflexion portée de sa construction à son exploitation, jusqu’à son éventuelle démolition.

 

Le chauffage est assuré à l’aide d’un poêle par logement, qui utilise du bois de forêts locales. Entièrement vitrée, l’enveloppe permet aussi de capter l’énergie solaire passive et protège des intempéries. Des panneaux photovoltaïques et des capteurs thermiques complètent le dispositif.

 

Enfin, le réemploi de matériaux et éléments (portes, lavabos, fenêtres, etc.) est privilégié. Par exemple, la salle commune est habillée d’un plancher datant de 1930, ce qui confère un caractère ancien à cette construction neuve.

 

Mieux vivre ensemble

 

Le projet – de même que ses usagers et constructeurs – assume son caractère bricolé. L’architecte le précise, ils ont souhaité laisser les processus constructifs ouverts le plus longtemps possible afin de prendre les décisions ensemble. Le bâtiment est ainsi conçu comme une maquette à l’échelle 1:1 avec laquelle on expérimente, de manière incrémentale, au rythme des différentes étapes de construction.

 

Le résultat est quelque peu sauvage mais plein de vie. La façade, dessinée ensemble sur place, imprime les histoires de chacun, tel un bricolage fait main. Ce bricolage n’évoque pas une esthétique architecturale, parfois fétichisée dans la théorie et la pratique, mais plutôt une méthode de conception mise en place par l’architecte et les habitants. Une méthode où l’architecte s’efface pour offrir la possibilité à chaque individu d’investir sa propre façon d’habiter.

 

Dans l’habitat plus encore que dans n’importe quel autre programme se pose la question de la collectivité. Alors que le logement est souvent vu comme un lieu de repli individuel, ou du moins limité au cercle familial proche, le projet crée des opportunités de rencontres afin de retrouver des schémas plus sains de sociabilisation et de communication. En ce sens, il remet en jeu la signification même de l’habiter. Pensée de manière responsable et collective, DomaHabitare atteste qu’habiter ne signifie pas seulement occuper un espace mais aussi le partager. Folle utopie ou nouveau paradigme de l’habiter, le projet montre en tout cas qu’il est possible de bâtir autrement.

 

 



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