Architecture

Redécouvrir des matériaux oubliés

19 Mar 2024

Partout en architecture, on ressuscite des matériaux de construction décarbonés. On cherche à réactiver des filières et des savoir-faire locaux, afin de mettre en œuvre ces matières écologiques oubliées. Ces techniques trouvent d’ores et déjà des applications pertinentes dans la maison individuelle, et pas seulement à l’échelle de l’auto-construction. Exemples avec la pierre massive et les fibres végétales.

 

Au jour de sa livraison, un bâtiment aux normes écologiques a déjà émis 50 % des émissions de CO2 qu’il émettra sur l’ensemble de son cycle de vie (Source Maneco). Un chiffre qui alerte sur l’empreinte carbone des matériaux mais que l’on n’a longtemps pas pris en compte. Ainsi, aujourd’hui, l’immense majorité des labels d’éco-conception se concentrent sur la consommation énergétique des maisons lors de leur exploitation plutôt que sur leur construction. Mais une nouvelle manière de bâtir se prépare. En 2022, le Grand Conseil genevois a accepté le projet de loi PL 12869, qui induit la prise en compte de l’empreinte carbone des matériaux. Et des artisans et des bureaux d’architectes mènent des expérimentations pour exploiter les matières naturelles et le potentiel des techniques ancestrales de construction.

 

L’exemple de la pierre de taille

Matériau traditionnel très répandu dans de nombreuses villes européennes, la pierre massive a été oubliée dans la construction de l’habitat en Suisse, où l’on a souvent privilégié le béton au cours du 20e siècle. Cependant, une poignée d’architectes contemporains réussissent aujourd’hui à convaincre du bien-fondé de l’utilisation de ce matériau, en termes de coût financier notamment.

 

©11h45. Parution C&R 2023/2024.

Dans le Jura, la réhabilitation d’un couvent transformé en maison par le bureau Archiplein. Le projet a consisté en la réappropriation de l’une des ailes.

 

©11h45. Parution C&R 2023/2024.

La pierre massive a été utilisée pour réaliser de nouveaux encadrements pour créer une galerie de 40 m de long, chapeautée en partie par une terrasse, permettant de mettre en relation la villa avec le jardin.

 

©11h45. Parution C&R 2023/2024.

La pierre massive a aussi été utilisée pour réaliser de nouveaux encadrements de baies vitrées.

 

ASPECTS ÉCOLOGIQUES

 

La pierre massive se présente souvent sous forme de blocs de pierre issus de carrières, mesurant 50 à 60 cm d’épaisseur et 200 cm de longueur. Découpée au sein des sites d’extraction, elle ne nécessite aucun traitement ni transformation; son empreinte carbone est donc extrêmement faible du moment qu’on en limite le transport. En dehors de petits sites d’extraction de pierres décoratives, on trouve encore en Suisse des carrières de calcaire, de molasse et de gneiss, mais ces pierres sont souvent réservées à la rénovation de bâtiments historiques ou à la construction d’infrastructures. En revanche, la France voisine dispose de carrières de pierre à bâtir situées à distance raisonnable.

 

MISE EN OEUVRE POSSIBLE DANS L’HABITAT

 

La pierre naturelle massive est autoporteuse : on superpose et juxtapose des blocs qui sont joints par du mortier (un mélange de sable, de chaux et de granulats fins) dans le but de répartir les charges. Elle permet de réaliser des parois, des encadrements, des galeries, des escaliers… Pour la construction des murs dans l’habitat, la pierre s’utilise toujours avec une couche d’isolation. Aujourd’hui, le bureau d’architecture suisse Archiplein construit des bâtiments avec ce matériau en utilisant les formats des blocs découpés de manière industrielle dans les carrières, ce qui limite considérablement le coût de la main d’oeuvre et fait de la pierre massive un matériau plus économique. Par ailleurs, le bureau effectue actuellement des recherches pour pouvoir utiliser la pierre des champs maçonnée (que l’on trouve partout) avec un moindre coût de main d’œuvre.

 

PROPRIÉTÉS TECHNIQUES DU MATÉRIAU

 

De manière générale, la pierre est un matériau solide et résistant au gel qui possède une grande inertie thermique. Cependant, lorsqu’elle est utilisée sous forme de plaque fine pour la décoration ou la création de façades ventilées, elle tend à perdre une partie de ces propriétés. Il faut noter que la mise en oeuvre de la pierre naturelle comme simple parement de façade ne réduit pas l’empreinte carbone d’un bâtiment dans la mesure où il faut recourir à une structure métallique de fixation.

 

APPROCHE ARCHITECTURALE

 

Par sa masse et la lisibilité de sa mise en oeuvre, la pierre massive donne une présence matérielle évidente aux maisons. Son usage à coût raisonnable requiert d’adapter les plans, non seulement aux formats des blocs, mais aussi aux propriétés particulières de chaque type de pierre. L’utilisation de la molasse, par exemple, implique la création d’une protection de type avant-toit.

 

 

 


 

L’exemple des fibres végétales

 

Sous nos latitudes, la paille, le chanvre et l’herbe offrent une alternative décarbonée aux matériaux isolants traditionnels. Désormais, les fibres végétales ne sont plus associées à l’idée d’une architecture de l’urgence et de la pénurie mais reconnues pour leurs avantages techniques et écologiques.

 

© John Hottinger. Parution C&R 2023/2024

Mise en oeuvre de cloisons en terre-paille réalisées aux Plaines-du- Loup, à Lausanne, pour la coopérative d’habitants Ecopolis. Elles ont été réalisées lors d’un chantier participatif et encadrées par le bureau d’architecture Etceterra, très engagé pour un environnement bâti durable, en collaboration avec l’ingénieur civil Grégoire Aguettant.

 

© Etceterra

Le mur en terre-paille mis en oeuvre.

 

© Gramitherm

Isolant en fibres d’herbe Gramitherm. Présentant un bilan carbone négatif, ce produit protège du froid, régule l’humidité et absorbe les sons. Coefficient de conductivité thermique: 0.27 W/m2.K(épaisseur 150 mm).

 

 

ASPECTS ÉCOLOGIQUES

 

La paille, l’herbe et le chanvre captent le CO2, avec l’avantage par rapport au bois de croître et de se renouveler beaucoup plus vite. Ce sont des matériaux régénératifs. Les fibres d’herbe se trouvent sous forme de déchets, au bord des routes ou dans les jardins, par exemple. Le chanvre, lui, est une plante de culture. La Suisse produit très peu de chanvre et ne possède pas non plus de filière de traitement de sa tige (chènevotte). Cependant la filière est active depuis plusieurs décennies en France.

 

MISE EN OEUVRE POSSIBLE DANS L’HABITAT

 

De l’herbe, de la paille et du chanvre sont commercialisés sous forme de rouleaux isolants (Gramitherm) et de béton projeté isolant (Pittet Artisans). Mais une autre utilisation des fibres végétales consiste à mélanger des tiges de céréales à de la terre – qui est une ressource gratuite lorsqu’elle est issue du terrassement de la maison – de façon à construire des cloisons. Le mur en « terre-paille », digne héritier de la technique du torchis-colombage, connaît aujourd’hui un regain d’intérêt sous l’influence de l’architecte allemand Franz Volhard. Il comprend une structure en bois et un remplissage en terre-paille que l’on effectue dans un coffrage. Il peut servir à construire des parois intérieures ou des murs extérieurs, à condition d’avoir un socle qui les éloigne du sol et d’utiliser un enduit pour faire face aux intempéries.

 

PROPRIÉTÉS TECHNIQUES DU MATÉRIAU

 

La paille, l’herbe et le chanvre sont des très bons isolants thermiques et acoustiques. Le mur en terre-paille n’apporte pas une isolation thermique aussi performante mais présente d’autres avantages: il s’agit d’un matériau façonnable selon les envies puisqu’il est coffré ; de plus, la terre crue présente une forte capacité de régulation de l’humidité et sa masse engendre de l’inertie thermique. Cependant, un mur en terrepaille requiert beaucoup de main d’oeuvre. Pour une cloison de 30 cm d’épaisseur, il faut compter par mètre carré 1h pour la préparation de la terre, 1h10 pour le coffrage et décoffrage et 2h20 pour le remplissage (source: Construire en terre-paille, Alain Marcom, édition Terre Vivante). Actuellement, les expériences en terre allégée menées en Suisse ont été réalisées sous forme d’auto-construction ou sur des chantiers participatifs avec, par exemple, le bureau d’architecture Etceterra.

 

APPROCHE ARCHITECTURALE

 

Que ce soit sous forme de brique, de pisé ou d’un mélange avec de la paille, la mise en oeuvre de la terre crue répond à l’envie d’utiliser des matériaux déjà présents à l’endroit du chantier. Les projets d’architecte font honneur à la matérialité de la terre et à sa malléabilité. Ils s’effectuent en pensant dès les premières esquisses à la manière d’intégrer ce matériau de manière pertinente.

 

 

 



Partager cet article