Architecture

Construire en terre crue aujourd’hui

07 Mai 2021

La terre excavée lors de constructions est l’un des plus grands déchets au monde. En Suisse, et pour chaque canton, l’équivalent d’une pyramide de Khéops, soit 2 millions de mètres cubes, sort de terre chaque année. Mue par l’envie de bâtir de manière plus écologique, l‘architecture contemporaine réinvente aujourd’hui des techniques ancestrales d’utilisation de la terre crue. Transformer le sol en matériau de construction permet de bâtir des maisons individuelles et des bâtiments de grande envergure au confort éprouvé. Une voie que poursuivent plusieurs architectes suisses.

 

Matériau disponible aux avantages multiples, la terre crue a longtemps fait partie de notre patrimoine architectural avant d’être oubliée, puis redécouverte en Suisse. On doit cette résurgence à la persévérance d’ingénieurs en matériaux qui a permis aux architectes d’intégrer la terre crue dans leurs réalisations contemporaines.  Parmi ces acteurs-clés se trouve Martin Rauch, un Autrichien fondateur du bureau d’études Lehm Ton Erde. Depuis trente ans, celui-ci redonne au pisé ses lettres de noblesse, à la fois sur le plan esthétique et sur le plan technique. Il a également ouvert de nouveaux horizons avec la préfabrication d’éléments en pisé de grande dimension qui ont trouvé des applications dans notre pays.

 

© Ricola AG

La Maison des herbes de Ricola à Laufen, considérée comme le plus grand bâtiment en pisé d'Europe. Mesurant 110 m de longueur, 29 m de largeur et 11 m de hauteur, ce bâtiment est l'œuvre des célèbres architectes suisses Herzog & de Meuron, en collaboration avec l'entreprise de construction Lehm Ton Erde Baukunst GmbH (Martin Rauch).

 

© Beat Bühler

Une maison en pisé dans le Vorarlberg (Autriche), réalisée par le bureau d'architecture suisse Boltshauser Architekten AG en collaboration avec Martin Rauch.

 

Côté technique, le pisé désigne un ouvrage de maçonnerie en terre argileuse non végétale que l’on compacte entre des planches de bois. La bauge (dans laquelle on empile la terre sans coffrage) et le torchis (où de la boue est enveloppée autour des piquets de la structure porteuse) font également partie des méthodes de construction traditionnelle en terre crue. Mais aujourd’hui, ce sont les anciennes briques d’adobe qui trouvent de nouvelles expressions. Les briques d’adobe désignent des briques de terre qui ont été séchées à l’air sans avoir été cuites dans un four.

 

L’entreprise de matériaux Terrabloc – dont le site de production est à Allaman – a perfectionné la technique de l’adobe de façon à proposer des blocs en terre crue compressée adaptés à l’architecture contemporaine. Ceux-ci offrent de grands avantages en termes d’impact sur l’environnement et d’écologie. Ils sont en effet réalisés à partir de déchets d’excavation locaux qui sont ainsi recyclés. Au cours d’un chantier, il est même possible de transformer sur place les déchets produits pour le creusage des fondations. Les blocs de Terrabloc présentent, par ailleurs, un bilan énergétique faible: leur procédé de fabrication demande peu d’apport de chaleur (contrairement au béton par exemple). Et ils sont eux-mêmes recyclables.

 

 

1. L’exemple du pavillon Geisendorf à Genève

Respectueux à la fois du patrimoine bâti et du sol sur lequel il construit, l’architecte David Reffo s’est par exemple tourné vers les briques Terrabloc pour construire le pavillon Geisendorf qui complète l’école primaire et le centre pédagogique situés à Genève, dans le parc du même nom. Les briques ont été façonnées in situ pour construire les éléments porteurs et non porteurs du bâtiment. Un travail rendu possible grâce à la présence d’un ancien préau couvert qui a pu être utilisé pour la fabrication et le séchage des briques. Le pavillon qui s’élève aujourd’hui reprend les codes des bâtiments voisins grâce au mélange des matériaux et au rythme apparent de l’ossature. Il témoigne d’une grande attention portée au contexte construit, tout en reposant sur de nouveaux paradigmes économiques et écologiques.

 

 

©Didier Jordan. Parution CB2/2021

Projet d’architecture en briques de terre crue David Reffo.

 

©Didier Jordan. Parution CB2/2021

Projet d’architecture en briques de terre crue David Reffo.

 

 

2. L’exemple de locaux de services à Saint-Sulpice  

Autre exemple réalisé cette fois par le Studio SML, fondé par Sara Cavicchioli, Max et Leo Collomb. Il s’agit de locaux de services (garages, ateliers de travail, salle polyvalente) proposés aux habitants d’une propriété partagée en plusieurs logements. Situés sur les bords du Léman, ces locaux de service ont été construits à l’emplacement d’une ancienne écurie dont on a conservé le toit. Ils se divisent en deux volumes de blocs de terre crue compressée, glissés sous la toiture. Le choix de la terre crue a été motivé par la matérialité qui se dégage de la diversité présente sur le site. Les architectes ont su transformer certaines contraintes inhérentes au matériau en éléments architecturaux. En témoignent notamment l’ouverture des joints dans l’appareillage des briques pour aérer l’isolation du double mur et la jonction des angles non orthogonaux, entrelacée comme une couture qui forme un motif.

 

©Max Collomb. Parution CB2/2021

Projet d’architecture en briques de terre crue Terrabloc du Studio SML.

 

©Max Collomb. Parution CB2/2021

Projet d’architecture en briques de terre crue Terrabloc du Studio SML.

 

©Max Collomb. Parution CB2/2021

Projet d’architecture en briques de terre crue Terrabloc du Studio SML.

 

3. L’exemple de l’école de Riaz

 

Dernier exemple d’utilisation contemporaine des briques de terre crue, le projet d’extension de l’école de Riaz par le bureau FAZ architectes. La nouvelle école a été conçue comme un ensemble de maisons dont le langage architectural se réfère au domestique et au vernaculaire. La frise gravée sur la façade de bois pré-grisé est une interprétation du patrimoine constructif régional. Si la façade et la structure sont en bois local, des parois de blocs de terre crue compressée ont été intégrées dans chaque espace. Ces blocs ont permis d’améliorer l’acoustique et le climat intérieur en régulant l’hygrométrie, souvent asséchée par l’omniprésence du bois. De plus, la mise en œuvre manuelle des briques a donné lieu à des ateliers de pose de briques par les enfants, pour la fierté des artisans. Les blocs en terre crue permettant de valoriser la dimension humaine et sociale de l’architecture…

 

©Paola Corsini. Parution CB2/2021

Projet d’architecture en bois et briques de terre crue FAZ architectes.

 

©Paola Corsini. Parution CB2/2021

Projet d’architecture en bois et briques de terre crue FAZ architectes.

 

©Paola Corsini. Parution CB2/2021

Projet d’architecture en bois et briques de terre crue FAZ architectes.

 



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