Architecture

Le quartier des Plaines-du-Loup, un laboratoire architectural

25 Jan 2024

Avec le projet d’écoquartier géant les Plaines-du-Loup, c’est quasiment un morceau de ville qui sort de terre sur les hauts de Lausanne. L’endroit offre aux architectes un laboratoire expérimental inédit en termes de forme urbaine, de construction et de durabilité. Il donne lieu à des démarches innovantes pour imaginer et vivre la ville de demain.

 

© Daniele Rocco. Parution EC2/2023

Bâtiment OAK, L-Architectes.

 

L’une des caractéristiques les plus frappantes du quartier des Plaines-du-Loup est sa densité.  L’écoquartier devrait accueillir 8000 habitants et 3000 emplois sur 30 hectares. Une densité voulue afin d’optimiser le rapport entre occupation du terrain, préservation des ressources naturelles et limitation des déperditions d’énergie

 

Pour autant, et en dépit de sa grande échelle, son développement mise sur une qualité d’habitabilité très élevée. Les architectes l’ont bien compris et se distinguent souvent par des réalisations de très belle facture.  Alors que les constructions du premier plan d’affectation (PA1) touchent d’ores et déjà à leur fin,  la deuxième étape du projet (le PA2) est lancée, ce qui nous permet de voir concrètement comment sont appliqués les grands principes qui ont animé le projet.

 

 

1. Geothermie profonde, geocooling et cloacothermie

 

© Daniele Rocco. Parution EC2/2023.

Droite: le bâtiment de logements et d'activités Louvoyons (LRS Architectes). Gauche: Le Bled, une coopérative « sociale d’habitant.e.s » (architectes: Tribu Architecture). La chaleur vient de sondes géothermiques de moyenne profondeur et feka (pompes de relevage).

 

Comment mieux exploiter le sous-sol de nos villes? Démocratiser l’accès à la géothermie en milieu urbain permet non seulement de chauffer avec des énergies renouvelables (principe de la pompe à chaleur à sonde) mais aussi de refroidir de manière naturelle (geocooling).

 

Aux Plaines-du-loup, la Ville a imposé un chauffage mutualisé sur l’ensemble du quartier avec un système de pompes à chaleur couplées à une géothermie à moyenne profondeur. Trente-cinq puits de 800 m de profondeur ont ainsi été forgés. Les pompes à chaleur sont alimentées en courant 100 % renouvelable d’origine locale.

 

Par ailleurs, une production d’énergie solaire grâce à des panneaux photovoltaïques en toiture et une récupération de chaleur sur les eaux usées viennent compléter le système. C’est ainsi que, sur certains bâtiments, l’énergie produite pour le traitement des eaux usées est utilisée pour le chauffage (cloacothermie).

 

 


 

2. Expérimenter des matériaux bio-géo-sourcés

 

© JOHN HOTTINGER. Parution CB5/2023

Mur en terre-paille, immeuble de la coopérative Écopolis, Plaine du loup.

 

 

Aux Plaines-du-Loup, les différentes pièces urbaines ont été partagées entre investisseurs privés, publics, coopératives, qui chacun ont mené leur propre projet de construction, tout en collaborant sur différentes questions comme l’énergie et les limites entre les bâtiments.

 

Certains projets se sont d’ores et déjà montrés particulièrement audacieux en terme d’emploi de matériaux, à l’instar du projet d’immeuble de la coopérative Écopolis (bureau genevois ATBA). Celui-ci interprète l’architecture durable avec des matériaux bio-géo-sourcés.

 

Au niveau des cloisons intérieures, l’architecture du projet a très vite imposé une liberté d’entraxe de l’ossature en bois du bâtiment. Pour l’isolation, la piste des bottes de paille aux dimensions finies a donc été écartée au profit de caissons remplis de paille hachée puis insufflée, une première en Suisse romande.

 

En complément, des plaques d’argile recouverte d’un enduit en terre ont été fixées à l’intérieur de l’enveloppe du bâtiment. L’engouement des coopérateurs a ensuite mené à la réalisation de cloisons séparatrices des espaces communs en terre et en paille, sous forme de chantiers participatifs. Ces murs en « terre-paille » sont de dignes héritiers de la technique du torchis-colombage.

 

Sur le reste du projet, le béton a été choisi pour des raisons statiques et de protection incendie dans les cages d’escaliers et les sous-sols. Pour compenser les surcoûts liés à la mise en place de techniques alternatives constructives, le béton de type 2 (béton d’aspect soigné et uniforme) est laissé apparent et simplement recouvert d’un film anti-poussière. Le bois, en plus d’assurer la structure du bâtiment, est également présent dans les finitions intérieures comme les armoires et les cuisines huilées par les coopérateurs dans les 24 appartements.

 


 

3. Plus de pleine terre en ville

 

©Daniele Rocco. Parution EC2/2023

Parc du loup.

 

© Vincent Jendly. Parution CB5/2023

Pièce urbaine B, bureau Pont12 Architectes.

 

En 2017, après l’annonce de l’abattage de 320 arbres, la Ville de Lausanne avait dû faire face à un tollé. Mais les replantations prévues de 400 arbres ont permis d’aller au-delà des exigences de 211 arbres du PPA et de planter des arbres adaptés au changement climatique.

 

En effet, laisser plus de place à la végétalisation et gagner un maximum de mètres carrés de pleine terre font partie des ambitions de l’écoquartier des Plaines-du-loup. Si la plantation de nouveaux arbres et végétaux participe à la réduction de la pollution et permet d’adoucir les pics de chaleurs, la question du sol se relève également indispensable au bon fonctionnement de l’écosystème naturel.

 

Aux Plaines-du-Loup, la question est traitée par la création de parcs (le « parc du Loup ») mais aussi par la création d’espaces naturels variés et différenciés dans les cours et espaces partagés des différents immeubles. Ceci en dépit du fait qu’il s’agit d’un quartier très dense.

 

En témoigne par exemple, le projet de grand ensemble du bureau d’architecture Bunq (photos point n°6) dont les cours sont plantées en pleine terre et seront à terme fortement végétalisées.

 

L’illustre également la pièce urbaine B du bureau Pont12 Architectes (photo ci-dessus) qui se compose de quatre immeubles réalisés par quatre maître d’ouvrage/investisseurs différents. Les quatre bâtiments cadrent un grand pré qui réunit les espaces collectifs. « Nous avons pu apporter un aspect plus sauvage, plus libre, en lien avec la nature amenée par le grand pré, la pleine terre » explique Guy Nicollier, l’un des architectes fondateurs de Pont12. Par ailleurs sur ce projet, des jardins sur les toits des volumes plus bas animent le morcellement de l’immeuble.

 

La végétalisation des toits est une constante que l’on retrouve dans divers immeubles des Plaines-du-Loup. L’avantage d’une couverture végétale est qu’elle permet de renforcer l’isolation thermique de la toiture; la vapeur d’eau produite par les plantes et le substrat rafraîchit l’air ambiant.

 

© Daniele Roco. Parution CB2/2023

Sur le bâtiment OAK, terrasse extérieure commune végétalisée en toiture. Architecte: L-Architectes.

 

 


 

4. Créer une forêt urbaine

 

© Filippo Bolognese, Images Architectural Visualization

Projet de forêt urbaine Promenons-nous dans les bois.

 

La première étape de réalisation de l’écoquartier des Plaines-du-Loup – ou le premier plan d’affectation (PA1)- a été réalisée à partir d’un plan d’ensemble conçu par Tribu architecture sur tout le quartier (projet ZIP). La deuxième étape de réalisation de l’écoquartier a, elle, été lancée en débutant par un concours d’architecte-paysagiste, de sorte que ce sont les espaces extérieurs qui détermineront l’identité et l’articulation des futurs bâtiments du quartier. Une nouveauté destinée à favoriser une cohabitation équilibrée entre humain et nature.

 

Signé par le bureau lausannois Monnier Architecture Paysage, le concept au nom évocateur  «Promenons-nous dans les bois» promet une grande forêt urbaine au cœur de Lausanne. Le projet vient compéter les connexions paysagères et la trame verte lausannoise et propose de planter 1500 à 2000 arbres. Il prévoit aussi de réutiliser près de 90 % des terres d’excavation pour régénérer les sols actuels (terrains de foot, parking) et assurer quasiment 100 % des sols en pleine terre.

 

 


 

5. Donner une place à l’habitat coopératif

 

La politique de soutien de la Ville de Lausanne aux nouvelles formes d’habitat telles que les coopératives d’habitant∙es et d’habitation est particulièrement présente dans la première étape du projet.  Les coopératives d’habitation sont des maîtres d’ouvrage d’utilité publique, qui réalisent des projets sans but spéculatif, mettant à disposition des logements avec des loyers à prix coûtant tout en impliquant leurs sociétaires-locataires dans les décisions , voir dans la réalisation du chantier. Elles vont de paire avec un nouveau paradigme d’habiter plus collectif.

 

Parmi les cinq coopératives d’habitant, le Bled (photo point n°1, bureau Tribu) a notamment beaucoup fait parler de lui en raison de la typologie du bâtiment et des espaces intérieurs et extérieurs. Comme pour les balcons ne sont pas séparés et forment ainsi un cheminement qui fait le tour de l’étage et passe devant la cuisine de chaque appartement. Il s’agit de coursives. « C’est une invitation à s’ouvrir sur l’extérieur, un peu comme dans les pays du Sud » relève Laurent Guidetti.

 

À l’intérieur du Bled, les surfaces des espaces « personnesl » sont réduites pour privilégier les espaces communs. La mutualisation est connue de toute coopérative participative, mais « avec 77 logements, nous parvenons à avoir l’équivalent de cinq salles communes qui peuvent devenir une salle de spectacle, mais aussi un foyer, des loges, un local « à bruit » pour faire de la musique, un espace de couture, un autre pour le bricolage et un Bled BnB pour les hébergements de courte durée. À cela viennent s’ajouter un salon commun et une terrasse commune de plus de 450 m2 au 5e étage. Au principe de mutualisation s’ajoute la diversité des lieux qui amène à la capacité de mutualisation, ce que nous appelons la « mutuabilité » ».

 

 


 

6. Des typologies de bâtiment adaptées à la densité de population

 

Aux Plaines-du-Loup, on a imaginé une ville plus responsable mais aussi plus inclusive, plus conviviale et plus agréable à vivre.

 

L’aspect plus inclusif vient du fait que l’écoquartier se destine à accueillir diverses catégories de population pour diverses activités. Majoritairement propriétaire des terrains, la Ville s’est en effet donnée les objectifs de:
– mixité fonctionnelle en mélangeant logements et activités
– mixité sociale selon la politique des trois tiers : 40% de logements régulés, 30% de logements subventionné et 30% au marché libre
– et corollaire de ces deux types de mixité, mixité des investisseurs. Ils se répartissant entre sociétés filles de la ville, investisseurs privés, coopératives d’habitant∙es et autres maîtres d’ouvrage d’utilité publique.

 

À cette mixité, s’ajoute la volonté de favoriser le « vivre ensemble » par la création de lieux de rencontres. Ainsi par exemple, les cours ont souvent été imaginées par les architectes comme de véritables espaces de vie, des lieux de rassemblement aussi bien pour les habitants de l’immeuble que pour le reste du quartier.

 

Enfin, le bien vivre en milieu urbain dense a lui aussi fait l’objet de diverses réflexions sur les typologies de bâtiments de la part des architectes. Le bureau Bunq a par exemple porté une attention particulière aux vis-à-vis sur la pièce urbaine A, un grand ensemble dans un contexte urbain dense et sur une parcelle de faible largeur. Pour éviter les vues de fronts, les architectes ont conçu un bâtiment en forme de peigne qui se développe autour de trois larges cours. Cette volumétrie particulière, couplée au fait que les étages reculent progressivement au niveau des dents du peigne, favorise depuis les balcons et l’intérieur des appartements des champs de vision en diagonal (et non de face) sur les appartements les plus proches.

 

© Cédric Widmer. Parution CB5/2023

La pièce urbaine A des Plaines-du-Loup. Bureau d’architecture Bunq.

 

© Cédric Widmer. Parution CB5/2023

Pièce urbaine A des Plaines-du-Loup (Bunq). La position des balcons et des baies vitrées offrent un champ de vision en diagonal sur les appartements les plus proches et favorise les grandes perspectives visuelles.

 



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