Pourquoi défendre la notion de culture du bâti?
Depuis une dizaine d’années a émergé l’expression « culture du bâti » dans le domaine de l’architecture, du patrimoine, des ouvrages d’art et de l’aménagement du territoire. Cette notion permet de rappeler que toute action de transformation de l’environnement possède une dimension relative à l’identité d’une civilisation, à ses aspects intellectuels, à sa manière d’envisager les interactions entre les individus. Elle est aussi devenue une exigence politique depuis la Déclaration de Davos de 2018 engageant les pays « Vers une culture du bâti de qualité pour l’Europe » et l’inauguration de «l’Alliance de Davos pour la culture du bâti» en mai 2023. Or, pour développer une meilleure culture de l’espace construit, il ne suffit pas sensibiliser le politique ou le citoyen aux lieux qui l’entourent. Encore faut-il déterminer vers quelle qualité une société peut aspirer? Héloïse Gailing, architecte et secrétaire générale de la Fondation Culture du Bâti (CUB), revient pour nous sur la définition d’une culture du bâti de qualité et sur ses enjeux.
Depuis 2016 en Suisse romande, la Fondation Culture du Bâti (CUB) travaille à promouvoir et valoriser la culture du bâti sous l’impulsion de 16 entités fondatrices regroupant les principales associations professionnelles d’architectes, d’ingénieurs, d’urbanistes et de paysagistes, mais aussi les institutions liées au patrimoine, à la recherche et à la théorie ainsi qu’à l’artisanat et à la construction.
La CUB s’exprime à travers divers formats tels que le festival Ecrans Urbains, les cycles de conférences Espaces communs et les publications des Cahiers du Bâti. L’agenda en ligne rassemble les événements sur la thématique et présente le dynamisme de la culture du bâti dans le canton de Vaud.
Qu’est-ce qui constitue à vos yeux la culture du bâti?
– La culture du bâti est quelque chose d’impalpable, qui traverse l’ensemble des disciplines liées à l’environnement construit et paysager. On reconnaît volontiers la dimension culturelle propre à l’architecture, à l’ingénierie ou au patrimoine construit. La culture du bâti est générée par la rencontre de plusieurs de ces domaines, dans l’espace ou au sein d’un même projet.
Au-delà de savoir si un quartier répond aux critères de qualité architecturale ou paysagère, la culture du bâti identifie la substance culturelle qui mériterait d’être diffusée. La CUB l’apprécie comme un tout en s’efforçant de décloisonner chaque spécification. Cette transdisciplinarité est l’idée centrale sous-jacente à la notion de culture du bâti. Entrée dans les mœurs en 2018 avec la Déclaration de Davos, le terme «culture du bâti» nous invite à comprendre la richesse des interactions entre différentes sphères de l’environnement construit, en lien avec le domaine culturel.
Est-ce que, selon la CUB, les critères pour définir la qualité de la culture du bâti répondent à des objectifs définis et chiffrés tels que des labels par exemple?
– Pour quantifier la qualité de la culture du bâti, la Confédération a mis en place l’outil DAVOS, une grille qui rassemble un certain nombre de critères pour évaluer des bâtiments, anciens ou récents, et des quartiers. La CUB aborde la culture du bâti davantage sous l’angle culturel, en ouvrant le dialogue autour de la production contemporaine; elle s’efforce de percevoir l’environnement construit comme un produit global culturel, qui caractérise notre société.
La question qualitative est délicate et semble être une recherche permanente. Le rôle de la CUB n’est pas de définir cette qualité mais de donner la parole à des personnes qui, par leur travail ou leur réflexion, produisent de la valeur ajoutée. Convaincue que la qualité naît dans la diversité et la rencontre, la CUB développe des projets qui répondent à une courte série de critères: ils doivent s’adresser au grand public, représenter dans leur élaboration et dans leur contenu au moins deux disciplines de l’environnement construit et paysager et respecter la parité des genres.
Comment la CUB intègre les défis environnementaux, sociaux et économiques dans le choix des projets diffusés?
– Au sein de l’organigramme, c’est le comité directeur pluridisciplinaire qui choisit les projets que la CUB va soutenir. Cette sélection qualitative réside bien dans l’inclusion de différents regards des membres du comité qui se retrouvent autour de valeurs environnementales et sociales partagées.
Ainsi, les réponses aux défis actuels transparaissent à travers les sensibilités personnelles de chacun. Il faut que l’environnement soit au centre des préoccupations de la CUB car, à travers une approche holistique de la construction, la culture du bâti est une réponse majeure à la crise environnementale. Il est important de rappeler qu’un tiers des émissions de CO2 et environ 40% de la consommation finale d’énergie sont imputables au secteur du bâtiment, selon l’Office fédéral de l’énergie.
Dans ce sens, les Cahiers du Bâti édités par la CUB font partie des projets qui donnent la parole aux personnes qui abordent la culture du bâti sous un angle alternatif ; ils sont le reflet de cette diversité émergeante et sociétale, porteuse d’idées nouvelles.
Est-ce que la culture du bâti sans lieu existe? À quoi la culture du bâti immatérielle fait-elle référence?
– Les projets non réalisés tels que les projets de concours sont des biens culturels, potentiellement d’une grande richesse. En parallèle, l’ensemble de la recherche théorique et de la production artistique en lien avec l’environnement construit et paysager constitue aussi une culture du bâti impalpable.
Au final, la question centrale serait: qu’est-ce que l’environnement construit et paysager produit comme culture de nos jours? Ou en d’autres termes, qu’est-ce qui est inventé, façonné et transmis par l’environnement construit et paysager en 2023?
Par exemple, la notion du vivre ensemble, exprimé dans Écrans Urbains et dans de futurs projets, relève de la culture du bâti. On n’habite pas de la même manière en centre-ville, en zone villasou en pleine campagne et certains quartiers sont davantage propices à la rencontre, à la flânerie et à l’échange. Il est alors intéressant d’observer quels liens culturels et sociaux sont générés selon ces différences. La culture du bâti, c’est aussi l’ensemble de nos modes de vie induits par l’environnement construit et paysager.
Quel avenir pour la culture du bâti et pour la Fondation CUB?
– La culture du bâti, soutenue par la Confédération, est en plein essor. Pourtant, ses contours ne sont pas pleinement établis, tant il est difficile d’en donner une définition claire. Si le terme de Baukultur est bien compris en Suisse alémanique, il est beaucoup moins évident pour les francophones.
Au-delà de la finalité d’avoir un lieu de représentation physique, la CUB souhaite étendre sa portée géographique, concentrée actuellement autour de Lausanne. Elle ambitionne de développer des réseaux romands des cultures du bâti, plutôt que de promouvoir une seule et unique culture du bâti suisse.