Le béton peut-il être écologique?
Lorsque l’on apprend que le ciment, la « colle » du béton, représente 8 % des émissions mondiales de CO₂*, difficile de ne pas associer ce matériau à la pollution. Pourtant aujourd’hui, l’utilisation raisonnée de nouveaux bétons, qui sont produits selon des techniques spécifiques, permet d’envisager que la pierre liquide ait un avenir dans la construction durable. Le point sur les solutions innovantes déjà mises en œuvre.
*source: International Energy Angency (IEA)

Bâtiment de logements en béton pour la Société Coopérative d’Habitation de Genève SCHG, réalisé par Nomos Groupement d’architectes, Jolimont, Genève
Avant de parler des nouveaux bétons, revenons sur les principaux reproches que l’on adresse aujourd’hui à ce matériau du point de vue environnemental. Certaines voix s’élèvent contre l’extraction massive de granulats (sables, graviers, pierres) qui, dans certaines régions, engendre une dégradation des écosystèmes. Surtout, le béton traditionnel est aujourd’hui largement critiqué pour ses émissions en CO₂ dans la mesure où il repose encore largement sur le ciment Portland contenant du clinker. En effet, la fabrication de ce composant de base du ciment implique un processus de calcination du calcaire dans des fours à très haute température, processus qui s’avère énergivore, très gourmand en eau et engendre une transformation chimique libérant de l’oxyde de calcium.
Cependant aujourd’hui, des perspectives positives se dessinent – du moins en Suisse – grâce à l’engagement croissant du monde de la recherche, de l’industrie et de l’architecture en faveur de solutions plus durables. Ces acteurs s’impliquent sur plusieurs niveaux. Il s’agit tout d’abord d’optimiser l’usage du béton, en le combinant à des matériaux alternatifs comme le bois ou la terre crue comme cela a pu être fait pour la Maison de l’environnement.
Il s’agit ensuite de réduire l’impact écologique lié à l’extraction des carrières, en réutilisant le vieux béton des chantiers de démolition. La rationalisation du cycle de vie du béton permet de tirer pleinement parti de ses propriétés spécifiques: matériau régional, il bénéficie de circuits ultracourts et peut être recyclé à de multiples reprises.
Enfin, la dernière voie d’amélioration passe par l’utilisation de bétons nouveaux, dont la fabrication ne produit pas -ou peu- de CO₂.
1. Le béton recyclé
Le béton recyclé est fabriqué en broyant les débris de béton issus de chantiers de démolition, puis en mélangeant les granulats ainsi obtenus avec de l’eau et du ciment.
La première entreprise industrielle a avoir choisi cette filière en Suisse est GCM SA qui, depuis dix-ans, fabrique son béton recyclé sous le nom d’ Ecobéton (marque protégée). Elle a été rejointe sur cette piste par les grands les acteurs de la branche (Holcim, Hoffmann, Saint-Gobain…) et par de jeunes entreprises comme BGO à Vufflens-la-Ville qui produisent eux aussi du béton recyclé. En Suisse, 85 % du béton est déjà recyclé et certains grands projets d’immeubles ont d’ores et déjà été bâtis avec ce matériau (aux Plaines-du-Loup par exemple).
Néanmoins aujourd’hui, on tente d’aller encore plus loin dans cette valorisation des déchets. Ainsi, le réemploi d’éléments structurels en béton, bien qu’encore très marginal, se hisse doucement une place au rang des possibles grâce à des projets exemplaires comme le pavillon RebuiLT ou le hangar des stades des Arbères.
Dans l’optique de favoriser la circularité, on tente également de trouver des bétons qui soient plus faciles à recycler. Holcim développe par exemple, avec le laboratoire d’innovation Grüze, un béton préfabriqué à base de fibres de carbone, le Carbon Prestressed Concrete (CPC), qui permet une réduction de matière première de 75 % ainsi qu’une réutilisation quasi illimitée.
Surtout, start-up et industriels se sont lancés le défi de produire du béton recyclé avec moins de klinker. François Girod, directeur chargé de l’économie circulaire chez Holcim explique ainsi par exemple « nous visons encore plus loin avec la valorisation des matériaux issus de la démolition. Nous avons développé les ciments de la gamme Susteno, intégrant ces matériaux de démolition et permettant jusqu’à 20 % de réduction de l’empreinte carbone par rapport au ciment de masse traditionnel au calcaire (CEM II/A-LL)« .

Ces éléments CPC (Carbon Prestressed Concrete) utilisés pour le laboratoire d’innovation Grüze à Winterthur peuvent être démontés en pièces détachées et réutilisés (projet commun de Holcim, l’entreprise CPC, l’Université des sciences appliquées de Zurich et la commune de Winterthour).
2. Le béton sans clinker
Que ce soit pour produire du béton neuf ou recycler du vieux béton, les avancées se multiplient quant à une fabrication de bétons à faible teneur en clinker. Ainsi, le béton LC3 (Limestone Calcined Clay Cement), qui a été développé au sein de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) sous la direction de Karen Scrivener, remplace une partie du clinker par de l’argile calcinée et du calcaire. Permettant de diminuer les émissions de CO₂ jusqu’à 40 % par rapport au ciment Portland traditionnel, ce matériau – destiné aux régions tropicales et subtropicales- a déjà été utilisé pour construire plusieurs maisons à Cuba et en Inde.
D’autres formules de béton se placent, elles, en rupture complète avec le ciment classique en évitant le recours à la production de clinker. Tel est par exemple le cas de l’Hoffmann Green Cement. Mis au point en France, il a été utilisé à Genève par le groupe de construction Maulini pour construire le bâtiment Rambosson qui comprend 17 appartements. De même, la start-up de l’EPFZ Oxara, développe un béton sans ciment (et donc sans clinker) ajouté qui se compose de déchets de chantiers de démolition auquel on ajoute un liant particulier.

Béton sans klinker développé par Oxara à partir de déchets de construction.
3. Le béton enrichi en CO₂
Dernier type de béton que nous pouvons présenter, le béton enrichi en CO₂. Il a été conçu par un «spin-off» de l’EPFZ, l’entreprise Neustark, fondée en 2019. Celle-ci a développé un procédé innovant de minéralisation accélérée du CO₂, qui consiste à injecter du dioxyde de carbone dans des granulats de béton de démolition finement broyés. Ce processus transforme le CO₂ en carbonate de calcium, le liant de manière permanente aux granulats, ce qui permet la création d’un matériau utilisable pour le bâtiment.
C’est ainsi que Neustark entend éliminer le CO₂ de l’atmosphère et stocker ce gaz de façon permanente dans du béton de démolition. Un scénario qui ne semble pas forcément lointain. Une douzaine de sites de stockage sont déjà opérationnels et l’entreprise collabore avec des entreprises générales (comme Losinger-Marazzi SA) pour les projets de construction.