Architecture

Quatre théâtres suisses à (re)découvrir

24 Nov 2022

En Suisse romande, la culture du théâtre s’offre des lieux à sa mesure, techniques et esthétiques, propices à la création et à la représentation. D’un côté, on rénove des édifices historiques qui célèbrent la grandiloquence du jeu d’acteur. De l’autre, on construit une architecture qui fait acte d’effacement pour mieux mettre en valeur la scène. Quand parfois encore nos bâtisseurs explorent une voie plus personnelle. Parmi les plus beaux théâtres de Suisse romande se trouve bien sûr le Théâtre Vidy-Lausanne conçu par Max Bill dans un cadre idyllique face au Léman. On pourrait aussi citer l’Arsenic et sa trame de métal noire. Mais il est temps d’en (re) découvrir d’autres. Voici quatre lieux qu’il est bon de fréquenter autant pour l’architecture que pour les jeux d’acteurs. 

 

1. La Comédie de Genève, une interface avec la ville

FRES architectes

 

© Yves André. Parution CB4/2021

La Comédie de Genève.

 

© Yves André. Parution CB4/2021

La Comédie de Genève.

 

© Yves André. Parution CB4/2021

La grande salle est un lieu rassembleur. Sa configuration est pensée en rupture avec la hiérarchie sociale traditionnelle des théâtres : ici, il n’y a qu’une volée centrale de gradins, autour de laquelle on circule et dont la disposition en grande banquette courbe crée un effet de communion souhaité par les comédiens. Sur les murs, une résille métallique au motif géométrique habille l’épaisseur technique de 80 cm qui comprend notamment le dispositif acoustique complexe.

 

© Yves André. Parution CB4/2021

De l’autre côté du foyer, la salle modulable est un lieu d’expérimentation conçu en boîte noire. C’est un espace neutre qui peut être exploité selon différentes configurations de représentation. Le son y est donc diffusé dans tous les sens grâce à un système de lames verticales de largeur variable posées sur une résille qui recouvre des panneaux absorbants ou réverbérants. 

 

 

Plus de dix ans après le concours remporté par FRES Architectes,  la Comédie de Genève a déménagé pour ouvrir ses portes aux Eaux-Vives en 2021.  Le choix de cet emplacement, sur l’esplanade d’une gare du Léman Express, marque la volonté politique de rendre le théâtre accessible au plus grand nombre et de lui donner une place centrale dans le développement du quartier.

 

Légèrement en recul et donc peu visible depuis la ville, le bâtiment compense par sa silhouette remarquable : une composition de quatre volumes émergents reliés par un ruban de panneaux métalliques perforés qui se déroule en toiture et en façade.

 

Sur l’extrémité ouest, le nom du théâtre s’illumine la nuit, de même que le hall qui se pare d’un éclairage rouge. Pourtant, la journée, l’architecture se veut sobre et industrielle afin d’exprimer la spécificité de ce théâtre de création qui est aussi un lieu de production.

 

La forme allongée du bâtiment est issue de celle de la parcelle, contrainte entre l’esplanade et la voie verte en contrebas. Le crénelage façonné par les quatre excroissances de hauteurs distinctes, dont celle de la cage de scène, vient rompre la linéarité de l’ensemble et répondre aux différentes échelles du quartier.

 

 


 

2. Le Grand Théâtre de Genève, un patrimoine augmenté

Architectes projet: Atelier March en partenariat avec Linea Architecture Design. Architectes exécution: Beric

 

© Beric

Le Grand Théâtre de Genève.

 

© Fabio Galante. Parution EC4/2021.

Le Grand Théâtre de Genève.

 

© Fabio Galante. Parution EC4/2021.

Le nouveau bar supérieur de l'amphithéâtre. 

 

© Fabio Galante. Parution EC4/2021.

Nouvelle extension au sous-sol.

 

Construit en 1879 par Jacques-Elisée Goss, le Grand Théâtre de Genève est la plus grande institution culturelle de Suisse romande et l’un des principaux théâtres lyriques en Europe. Partiellement reconstruit à la fin des années 1950 suite à un incendie ravageur, il avait depuis subi plusieurs réfections ponctuelles jusqu’à ce qu’à sa rénovation complète en 2019. Trois années de chantier ont alors permis de concrétiser trois interventions majeures : la restauration des éléments décoratifs, la mise aux normes des installations techniques et la création de nouveaux espaces de travail.

 

 

Ainsi, les corps d’artisanat pointus ont permis de raviver les teintes des fresques, des dorures, des marbres et de mettre à nue les coloris originels des murs, redonnant au bâtiment sa splendeur d’antan. Dans la salle de spectacle, l’intervention est invisible malgré les opérations techniques majeures et la modernisation de la « Voie lactée », le plafond imaginé par Jacek Stryjenski dans les années soixante. L’éclairage a été remis en fonctionnement avec une animation lumineuse circulaire (dite « en escargot »).

 

 

Comme un rappel de cette œuvre, une constellation de fibres optiques a été intégrée dans la sous-face courbe du fond de la salle qui forme le plafond du nouveau bar de l’amphithéâtre.

 

 

Pour résoudre les problèmes de place ont été ajoutées deux extensions en sous-sol, sous les trottoirs adjacents, afin d’y placer des locaux techniques et des salles de répétition. On y accède en circulant entre l’ancien mur en pierre du bâtiment et le nouveau mur de béton apparent. De grands lanterneaux intégrés dans un aménagement végétalisé en surface éclairent les nouvelles pièces et garantissent un certain confort aux musiciens, chanteurs et danseurs qui y travaillent.

 

 


 

 

3. Le Théâtre de Carouge, un bel outil

Architectes: Pont 12. Agencement: Teo Jakob

 

 

©Vincent Jendly

Le Théâtre de Carouge.

 

© Étienne Malapert et Matthieu Gafsou

Accueil du Théâtre de Carouge.

 

©NicolasSchopfer. Parution CB4/2022

Accueil du Théâtre de Carouge.

 

© Étienne Malapert et Matthieu Gafsou

Salle de spectacle du Théâtre de Carouge.

 

La démolition et reconstruction du Théâtre de Carouge a été confiée au bureau Pont12 Architectes qui a su concevoir une véritable machine de travail pour fabriquer des spectacles. Ancré dans un contexte très urbain et cher à ses habitants, il s’agissait de mettre en place cinq salles : la salle des fêtes, dans son bâtiment autonome rénové, la grande salle, la salle modulable, la salle de répétition et l’esplanade – lieu extérieur régulièrement investi par le théâtre, mais aussi par les gens du quartier.

 

À l’intérieur comme à l’extérieur, le bâtiment fonctionne par cette juxtaposition fonctionnelle et pertinente de programmes. Au centre, la cage de scène domine le niveau de la rue de ses 24 mètres. Afin d’intégrer son gabarit à l’échelle du quartier, les autres volumes l’entourent de manière à toujours lui donner un premier plan qui constitue une progression des masses.

 

Enveloppés de manière unitaire par une brique de terre cuite moulée, au format allongé, les volumes sont marqués par la lumière sur la texture et non par le joint.

 

Dans l’organisation des espaces comme dans leur expression, la simplicité est de rigueur. Pas ou peu de halls ou de couloirs, techniques apparentes dans tous les espaces de travail, matériaux bruts, équipements fabriqués par les équipes du théâtre… les efforts sont mis sur la fonctionnalité du bâtiment, qui est avant tout un lieu de production, et la qualité du contenu. Le spécialiste du design d’intérieur Teo Jakob a proposé un mobilier parfaitement en adéquation avec l’architecture singulière du nouveau bâtiment: les chaises et tabourets de Jean Prouvé en bois et métal (réédités par Vitra) côtoient les tables sur mesure en chêne massif proposées par Mobimex, une marque suisse capable d’adapter finement son offre selon les besoins du projet.

 

 


 

 

4. Le Théâtre de Beaulieu (Lausanne), tout en finesse

Architectes: Serge Fehlmann et Fehlmann Architectes

 

 

Le théâtre de Beaulieu.

 

Le théâtre de Beaulieu.

 

Le théâtre de Beaulieu.

 

Le théâtre de Beaulieu.

 

Le Palais de Beaulieu, avec sa façade iconique, a été construit en 1920 pour accueillir le Comptoir suisse; une trentaine d’années plus tard naissait l’idée d’y intégrer une salle de spectacles. Après 65 saisons d’activité, ce joyau patrimonial historique avait un urgent besoin d’une remise à neuf.

 

Grâce à la rénovation, le théâtre -inauguré en 1954- dispose enfin d’une entrée spécifique. L’Olympia romand a gardé sa grande coupole centrale inspirée des théâtres classiques français et sa galerie en demi- cercle. Du lieu d’origine il ne reste que la façade et la carcasse, ainsi que le lustre géant et les appliques latérales d’époque, minutieusement restaurées en même temps que le bois des parois. Cas rare, la salle offre une grande proximité avec le public, qualité fort appréciée par les artistes.

 

Le projet architectural conçu par Fehlmann Architectes a conservé l’identité du lieu tout en améliorant ses espaces et la circulation. La salle de spectacles a été rénovée avec un plafond ondulant composé de milliers de lamelles courbées qui améliorent la qualité acoustique et technique du théâtre. Le balcon central semble fluctuer dans l’espace avec sa ligne ondulante pourtant parfaitement droite. Le nouveau concept scénographique et le système de sonorisation font également partie des importantes innovations du théâtre qui peut maintenant accueillir les productions dans les meilleures conditions.

 

À noter que c’est  l’ensemble du site de Beaulieu qui a entamé sa mutation au cœur de la capitale vaudoise. Avec la réouverture du théâtre rénové, la récente arrivée de l’École de la Source et du Tribunal arbitral du sport (TAS) ainsi que l’inauguration d’un restaurant flambant neuf, le parc d’exposition s’apprête à prendre un nouvel envol. Une deuxième phase de cette reconversion concernera les Halles Nord qui sont en attente de connaître leur sort. L’idée étant de transformer ce pôle majeur de développement économique avec une vaste palette d’activités: sport, culture, santé, mais aussi des congrès et du récréatif.

 



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