Architecture

Décarboner le bâtiment avec l’hydrogène

02 Mar 2023

Les voitures, les poids lourds, les trains alimentés en hydrogène sont déjà entrés sur le marché. Les innovations s’accélèrent et selon toute vraisemblance, cette source d’énergie propre sera amenée à décarboner le trafic routier, aérien et maritime. Mais qu’en est-il du bâtiment? Comment utiliser l’hydrogène pour alimenter nos maisons en chaleur et en électricité? L’H2 pourrait offrir des solutions intéressantes, en complément des autres énergies renouvelables et sous certaines conditions. Ses potentialités pour l’architecture sont au cœur de l’attention des acteurs de la transition énergétique.

 

Photo créée par Rafael Classen rcphotostock.com, libre de droit sur pexels.com.

Molécules d'hydrogène.

 

Dans le futur, la Suisse va-t’-elle miser davantage sur l’hydrogène «vert» issu des énergies renouvelables? Aujourd’hui, la production d’hydrogène repose principalement sur les énergies fossiles (hydrogène «gris»), ce qui entraîne de fortes émissions de gaz à effet de serre. L’hydrogène «vert», sans émissions de CO2, n’est pas encore disponible à des conditions concurrentielles. Cependant, les Perspectives énergétiques 2050+ publiées en 2020 par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) montrent que l’hydrogène, ainsi que d’autres carburants ou combustibles basés sur l’électricité d’origine renouvelable, peuvent apporter une contribution majeure à la réalisation de l’objectif de zéro émission nette à l’horizon 2050. L’office est en train d’élaborer une feuille de route 2050 sur les domaines qui se prêtent à l’utilisation de l’hydrogène. Cependant, on trouve déjà un document, datant de septembre 2022, comportant des Thèses sur l’importance future de l’hydrogène dans l’approvisionnement énergétique de la Suisse.

 

Ce qui pourrait changer

 

L’OFEN fait ainsi remarquer l’essor mondial que devrait connaître ce marché, débouchant sur des progrès techniques et des effets d’échelle, qui baisseraient ainsi les coûts de revient sensiblement au cours des 10 à 20 prochaines années. Avec l’internalisation des coûts externes des agents énergétiques fossiles, l’hydrogène «vert» pourra à terme devenir concurrentiel.

 

De même, les résultats du rapport «Énergie Futur 2050» sur l’hydrogène indiquent que ce vecteur énergétique peut contribuer non seulement à la décarbonisation, mais aussi à la sécurité d’approvisionnement en hiver. «Jusqu’à la fin des années 2030, l’hydrogène restera un vecteur d’énergie plutôt cher et ne sera donc utilisé qu’en petites quantités», précise Kristin Brockhaus dans ce rapport publié par l’Association des entreprises suisses d’électricité VSE.«Mais, étant donné qu’à partir des années 2040, il y aura suffisamment d’hydrogène (vert) bon marché disponible en Europe, puis en dehors de l’Europe, la Suisse aura accès à un volume considérable d’hydrogène bon marché.».

 

Reste à résoudre le problème du transport de l’hydrogène. L’idée est d’utiliser l’infrastructure du réseau de gaz actuel, qui est extrêmement bien maillé en Europe. Ce réseau doit être rénové et adapté pour éviter les fuites et augmenter la part actuelle tolérée qui est de 30% d’hydrogène pour 70% de gaz. « Les molécules d’hydrogène sont tellement petites qu’elles fuient par les raccords et les soudures. L’étanchéité des conduites doit donc être garantie pour éviter les pertes« , relève Enrique Zurita, ingénieur de Weinmann Énergies.

 

Se chauffer à l’hydrogène

 

D’un point de vue technique, le chauffage à l’hydrogène existe déjà.  Ce carburant peut être injecté directement via le réseau de distribution de gaz existant afin d’alimenter une chaudière à gaz. Soit on opte pour un mélange d’hydrogène avec un gaz conventionnel, soit on utilise de l’hydrogène pur avec des équipements dédiés.  En Hollande par exemple, l’entreprise BDR Thermea chauffent ainsi des immeubles avec de l’hydrogène vert.

 

Le réseau de l’European Hydrogen Backbone (EHB) a été mis à jour selon le modèle ci-dessus. Source de la carte: Terega.

 

L’autre système de chauffage à hydrogène existant est la chaudière à pile combustible qui a été lancée il y a plusieurs années. Sa particularité s’avère de produire de la chaleur pour l’air ambiant et l’eau sanitaire ainsi que de l’électricité (cogénération), tout cela en fabriquant elle-même de l’hydrogène. « Au lieu de brûler le gaz naturel de manière conventionnelle, la pile à combustible l’utilise pour une réaction thermodynamique: l’hydrogène contenu dans le gaz naturel entre en contact avec des molécules d’oxygène dans la pile à  combustible. Ce processus génère de l’électricité d’une part, et d’autre part, de la chaleur utilisable » explique le fabricant Vaillant.

 

Cependant, ces deux systèmes de chauffage à l’hydrogène peinent à trouver une place sur le marché  pour des raisons financières. D’une part, la distribution d’hydrogène vert sous forme de gaz coûte encore cher. D’autre part, la cogénération par la chaudière nécessite de grandes quantités d’énergie, ce qui fait qu’une pompe à chaleur est actuellement bien plus efficace et moins coûteuse.

 

Chaudière Vitovalor, Viessmann avec pile à combustible micro-cogénération.

 

En ce qui concerne les plus grands centres de production de chaleur, l’hydrogène est envisagé par l’OFEN comme une solution exceptionnelle si les autres solutions basées sur les énergies renouvelables sont difficilement réalisables en raison de circonstances extérieures ou entraînent d’importants surcoûts si on considère l’ensemble du cycle de vie.

 

Cependant, note Esteban Garcia, président de Realstone Group, « Nous n’avons pas encore trouvé la solution pour alimenter les chaufferies avec de l’énergie solaire » et dans ce contexte « l’hydrogène pourrait être une source écologique, pour autant que sa production soit faite à partir d’énergie 100% renouvelableSi l’on veut éradiquer les énergies fossiles, on a actuellement le choix entre les pellets, dont les prix fluctuent, les pompes à chaleur et les chauffages à distance, qui sont une très bonne solution à condition qu’ils soient alimentés avec une source énergétique durable, ce qui n’est de loin pas encore la norme ». Pour l’investisseur immobilier, l’hydrogène fait donc naturellement partie des solutions d’avenir visant à décarboner le parc immobilier, au même titre que pour la mobilité de demain.  Dans ce domaine, «nous travaillons actuellement sur un projet en partenariat avec Romande Énergie, GreenGT et la Fondation Nomads afin de tester dans l’immobilier des solutions qui incluraient l’hydrogène», annonce Esteban Garcia.

 

 

Produire de l’électricité avec de l’hydrogène

 

L’hydrogène est le composant chimique le plus abondant de l’univers et c’est un élément important de tous les composés organiques. Néanmoins, il n’existe dans la nature que combiné à d’autres éléments. Il ne peut pas être simplement exploité, il faut d’abord le produire. Au premier abord, il n’y a donc pas d’intérêt à distribuer de l’électricité, créée par un carburant qu’il faut lui-même produire, alors qu’on dispose d’autres moyens écologiques de générer directement de l’électricité (grâce à l’eau, l’air et le soleil). Mais cela étant, il semble possible de tirer avantage des propriétés particulières de l’H2.

 

Premièrement, l’hydrogène peut être produit localement, dans des centrales mais aussi dans des bâtiments. C’est, par exemple, le principe des chaudières à gaz en cogénération (génératrice de chaleur et d’électricité), destinées aux maisons, que nous avons présentées plus haut. À l’échelle de bâtiments plus grands, des îlots d’immeubles, des usines, il existe aussi des piles à combustible stationnaires produisant chaleur et électricité in situ.

 

Deuxièmement, l’hydrogène est un vecteur d’énergie secondaire, autrement dit, il peut être produit à partir d’autres systèmes de production d’énergie. La spécificité de l’H2 « vert » est d’être fabriqué avec de l’électricité provenant des barrages hydrauliques, du photovoltaïque ou de l’éolien.

 

Troisièmement, l’hydrogène peut être stocké localement, sous forme de gaz ou de liquide.  Il a la particularité de se laisser « emmaganisé » de manière stable, durant de longues périodes et transporté. C’est un de ses grands avantages par rapport à l’électricité que l’on n’arrive pas à « conserver » dans un endroit précis. Aujourd’hui, des batteries de stockage domestiques peuvent suffire à stocker  l’électricité produite par des panneaux solaires à l’échelle d’une maison, mais cela n’est pas possible à l’échelle d’un immeuble, d’un quartier, d’un pays. C’est pourquoi, le stockage de l’hydrogène – au niveau des centrales et des grands bâtiments –  est envisagé comme une alternative pour faire du décalage de consommation: on conserve l’hydrogène pour produire de l’électricité verte quand les panneaux photovoltaïques et les éoliennes ne fonctionnent pas en raison de la météo.

 

En effet, à l’échelle des centrales, on sait que la production d’électricité verte, issue des barrages, des panneaux photovoltaïques ou de parc éolien, est excédentaire en été. Pour exploiter ce surplus d’énergie renouvelable, les technologies dites du « Power to gas » entendent convertir l’excédent d’électricité verte en gaz de synthèse neutre en CO2. En Suisse, en septembre 2020, la société Gaznat (en collaboration avec l’EPFL) a inauguré au sein du Poste de Détente et de Comptage (PDC) de Sion, un réacteur de méthanation qui produit de l’hydrogène par électrolyse puis du méthane de synthèse. À long terme, on pourrait envisager de stocker ce nouveau type de gaz de synthèse dans des grands réservoirs comme ceux qui sont à l’étude à Oberwald/Grimsel.

 

© Vue sur le lac du Grimsel à gauche, et le Räterichsbodensee au fond. Wikipedia.

Un projet est à l'étude par Gaznat pour construire des réservoirs de gaz naturel à Oberwald. Ces citernes enterrées pourraient servir, dans le futur, à stocker du gaz de synthèse renouvelable. Ce gaz renouvelable serait élaboré avec l’électricité excédentaire des centrales hydrauliques, photovoltaïques et parcs éoliens.

 

Parallèlement, à l’échelle des bâtiments et des îlots d’immeubles, plusieurs acteurs développent des solutions pour des usages stationnaires de l’hydrogène qui rendraient ces bâtiments autonomes en énergie. Ces solutions comprennent par exemple, des panneaux photovoltaïques, l’électrolyse de l’eau pour fabriquer de l’hydrogène, le stockage d’hydrogène sur site, la production d’électricité et de chaleur dans des piles à combustible.

 

«L’hydrogène produite par électrolyse de l’eau à l’aide de panneaux photovoltaïques présente l’avantage d’être neutre en CO2, stockable sur de très longues périodes et en grande quantité. On peut ensuite produire de l’électricité via une pile à combustible lorsqu’on a besoin d’énergie, notamment en hiver. C’est un avantage en comparaison des batteries au lithium qui ont une capacité de stockage de quelques heures seulement», explique Philippe Couty, ingénieur conseil et directeur du bureau spécialisé en énergie TECPHY à Renens. Nous n’en sommes qu’au début. Le frein, pour l’instant, c’est le coût élevé des installations, mais la recherche avance à grands pas. «Nous travaillons sur un projet de couplage de production de chaleur (cogénération) avec récupération de chaleur sur l’électrolyseur et la pile à combustible. Cela pourrait augmenter le rendement de l’installation d’hydrogène jusqu’à 50 %. Et si les groupes de consommateurs sont suffisamment importants, cela peut devenir intéressant, à l’échelle d’un quartier par exemple. D’autant plus que le coût du kWh stocké baisse proportionnellement à l’importance du stockage.» complète Philippe Couty.

 

Aujourd’hui, les acteurs de la transition climatique s’accordent sur le fait que pour parvenir à un système énergétique durable et indépendant, les technologies de conversion flexible et de stockage de l’énergie sont déterminantes. Dans ces conditions, l’hydrogène pourra faire partie des solutions d’avenir pour la construction de bâtiment décarbonné et le développement durable.. Cependant, l’utilisation de l’H2 reste encore surtout envisagée dans le secteur des transports.

 



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