Cap sur un bijou d’architecture au cœur des Grisons: Poschiavo
Le village de Poschiavo, niché dans les Alpes grisonnes au cœur de la vallée du même nom, est un petit bijou d’architecture où se côtoient mayens, églises, palazzi, ruelles pavées et cafés traditionnels. En 2025, le Prix Wakker a récompensé les efforts de conservation du patrimoine et de développement harmonieux de cette commune suisse italophone. L’occasion de mettre en lumière comment ce bourg, qui mérite largement une halte, a su tirer avantage de sa situation périphérique.

Poschiavo et le Val Poschiavo
Séparée du reste de la Suisse par le col de la Bernina, Poschiavo illustre de manière saisissante comment les régions périphériques peuvent pleinement exploiter leur potentiel. En effet, ce bourg de 3500 habitants a su faire de son isolement un atout, via à une approche exemplaire de l’aménagement du territoire comme le souligne la fondation Patrimoine Suisse. Grâce à « une interaction harmonieuse entre tradition, développement et sens de la communauté », Poschiavo peut servir de modèle d’avenir pour les régions de montagne faisant face aujourd’hui à l’exode rural.
Le respect du paysage naturel et culturel
Poschiavo séduit pour ses panoramas époustouflants, allant du côté sud du col de la Bernina aux marmites glacières de Cavaglia, en passant par des lacs de montagne idylliques. Mais la commune ne se contente pas de préserver ces atouts spectaculaires, elle investit activement dans le devenir de son paysage culturel.
Ainsi, les terrasses de culture traditionnelles, soutenues par des murs en pierres sèches, ont été restaurées pour servir à nouveau à la production de légumes et d’herbes aromatiques respectueuse de l’environnement. Plus de 90% des surfaces agricoles sont certifiées biologiques, positionnant Poschiavo comme une pionnière en agriculture durable. Dans le cadre du projet Smart Valley Bio, elle promeut une économie circulaire où l’ensemble de la chaîne de valeur reste dans la vallée, de la production à la transformation et commercialisation.

Les marmites de Cavaglia.

L’objectif est de conserver, de réhabiliter et de mettre en valeur le paysage en terrasses caractéristique de Poschiavo.
La valorisation du bâti historique
Poschiavo attire non seulement par ses paysages, mais aussi par la valeur de son patrimoine bâti qui fait l’objet d’une gestion exemplaire. La commune a ainsi méticuleusement inventorié ses édifices historiques et établi des règlements de construction qui garantissent un entretien soigné ainsi qu’un développement de qualité.
La conservation planifiée de son héritage permet à Poschiavo de mettre en lumière toute la richesse de son histoire. En effet, le bourg a connu une évolution architecturale atypique pour une localité alpine, entre sobriété pastorale et élégance urbaine méditerranéenne. D’un côté, l’architecture du centre est encore marquée par la richesse passée de ses habitants. Elle témoigne d’un passé commerçant puis de l’histoire migratoire de la région. Plutôt que de s’installer définitivement à l’étranger à partir du XVIIe siècle, nombre des familles émigrées ont choisi de revenir au pays avec leur fortune, qu’elles ont ensuite investi dans la construction de villas et palazzi somptueux.

La Devon House, construite en 1863 par Pietro Pozzi, borde la prestigieuse via dei Palazzi. Elle fait partie d’un ensemble de maisons patriciennes de style éclectique, dont les jardins donnent sur le côté opposé à la rue. Elle abrite aujourd'hui diverses activités culturelles.

L’une des plus anciennes maisons patriciennes de Poschiavo (vers 1565), le Palazzo Landolfi, allie tradition et influence urbaine. Les architectes Corrado Albasini et Gianluca Martinelli ont enrichi l’édifice historique d’une annexe moderne, dont la façade contemporaine s’intègre harmonieusement à l’ensemble.
D’un autre côté, en s’éloignant du cœur du village, une tout autre architecture se dévoile au visiteur, reflétant -cette fois- un mode de vie simple et rural. C’est ainsi que les mayens, éléments autrefois essentiels de la transhumains saisonnière, continuent d’être entretenus mais aussi utilisés de manière à faire partie de la chaîne locale de valorisation.

Mayen de Curvera. Le bâtiment typique en pierre et en bois sert aujourd’hui de résidence secondaire pour des habitants, à l’instar de son usage traditionnel lors de la transhumance saisonnière.

Le Mulino Aino perpétue l’artisanat préindustriel de la société rurale du XVIIIe siècle: les moulins, les scieries et les forges étaient alors actionnés par la force de l’eau. Le moulin fait toujours partie intégrante de la chaîne locale de valorisation: on y moud l’ensemble de la récolte de sarrasin de toute la vallée.
La poursuite de l’histoire architecturale
Tout comme elle s’investit dans la restauration du patrimoine historique et paysager, Poschiavo a su encourager des projets architecturaux neufs qui participent, eux aussi, au mieux vivre et à la valorisation de l’environnement paysager ou bâti. Ceci sans restée figée dans une esthétique particulière.
Le petit immeuble locatif de la via Olympia bâti (ANZUN Architekten en 2011), par exemple, a permis de répondre à de nouveaux besoins tout en préservant l’harmonie du site: bien que doté d’un langage architectural moderne, il respecte la division classique en trois parties des bâtisses du centre.
On trouve également ici des bâtiments en béton apparents, d’inspiration plus brutaliste, qui traduisent la volonté de la commune d’aller de l’avant.

La commune de Poschiavo a réuni ses écoles, jusque-là séparées tant sur le plan confessionnel que géographique, en un seul centre scolaire. Conçu en 1969 à la suite d’un concours, le projet a été réalisé par l’architecte Andry Flurin. Par son expression architecturale brutaliste, qui contraste fortement avec l’église baroque voisine, cet ensemble traduit l’apaisement du climat social.

Centre d’entretien du canton chargé du déneigement du col de Bernina construit par Bearth & Deplazes Architekten en 2019. Le climat extrême, la fonction de l’ouvrage et le souhait d’obtenir une structure porteuse aussi économe en matériaux et en argent que possible ont motivé le choix logique du béton apparent La traduction des exigences fonctionnelles en formes géométriques élémentaires ancre le bâtiment dans son environnement: il fait corps avec le paysage, tout en étant d’une expressivité emblématique. A noter qu'une fonction supplémentaire a été ajoutée à ce bâtiment essentiellement utilitaire: au somment du silo a été intégré un observatoire du paysage.
Une offre culturelle animée
Les touristes trouveront à Poschiavo des églises, des chapelles et un musée d’art romantique situé dans une maison rénovée datant de 1856: le Museo d’Arte Casa Console. Celui-ci abrite une collection de peintures du XIXe siècle, mettant particulièrement en valeur le romantisme allemand et l’école de Munich.
Mais la vie culturelle sur la commune dépasse largement le cadre de ces visites grâce à des acteurs locaux motivés. La vallée bénéficie ainsi de concerts, d’expositions artistiques, de séances de cinéma et de spectacles de danse.
Plus largement, la fondation Patrimoine Suisse souligne que la commune a su développer de nombreux services de proximité de façon à être autonome pour faire face à l’isolement. « De l’hôpital aux écoles, en passant par la centrale de chauffage à distance ou la bibliothèque, Poschiavo assure à ses habitantes et habitants une gamme complète de services essentiels« .
En somme, on ne visite pas ici un « village-musée » figé mais un véritable lieu de vie. Ceci grâce à la manière exemplaire dont s’entrelacent valorisation de patrimoine, aménagement du territoire, qualité architecturale et cohésion sociale.