Atelier Oï, 30 ans déjà!
Fondé par Aurel Aebi, Armand Louis et Patrick Reymond, Atelier Oï est sans doute le plus célèbre bureau de design suisse à l’international. Cette solide réputation, ils la doivent à leur capacité à éveiller la curiosité, tout en véhiculant une forme de poésie et de légèreté. Conception de meubles, d’objets du quotidien, scénographie d’expositions, architecture, le trio n’a intentionnellement jamais choisi entre ces disciplines. Il célèbre cette année ses 30 ans. Portrait.
Depuis leurs débuts en 1991, les trois designers d’Atelier Oï n’ont jamais quitté La Neuveville, une commune bernoise à la frontière des langues. Avec plusieurs dizaines de collaborateurs, le trio occupe un bâtiment de 900 m² qu’il a baptisé Moïtel dès la prise de possession du lieu en 2009.
Cet espace de travail atypique comprend un atelier de prototypage, une matériauthèque, un studio photo… avec des petites niches dans lesquelles un groupe restreint de personnes travaille sur un projet en particulier. Il offre une atmosphère unique et accueillante et matérialise l’ADN du trio. C’est en visitant ce lieu qu’on comprend le mieux les fondements, les valeurs et l’approche du studio de design.
D’un hôtel au Japon aux tasses à café Nespresso, des boutiques d’horlogers de luxe au design de meubles, de la scénographie de musées à l’architecture de résidences privées: depuis trois décennies, Aurel Aebi, Armand Louis et Patrick Reymond nous donnent à voir un travail créatif aux multiples facettes.
Le fil rouge de ces projets se trouve dans la passion pour la matière qui anime les designers. Ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est travailler les matières, en comprendre les ingrédients, en découvrir les propriétés. «Nous transformons les matériaux en pensant avec nos mains», expliquent-ils. Et c’est à force de manipulations et d’observations qu’ils transposent leurs expériences sensorielles dans toutes sortes d’objets, de mises en scène, de lieux de vie.
Au cours du processus créatif d’Atelier Oï, les ingrédients d’un projet deviennent souvent la source d’inspiration d’une autre création, quelle que soit la discipline. L’abolition des frontières du design et de l’architecture aide ainsi les trois créateurs à élargir l’horizon de l’imaginaire, à détourner les usages et à renverser les perspectives.
Pour mesurer à quel point cette pluridisciplinarité est nourricière, il faut regarder en arrière. La série Rigicorde en est un bon exemple. Elle fut créée au départ, en 2005, pour réaliser une scénographie pour les Bourses fédérales du design au Mudac. Dans ce projet, le trio s’était particulièrement intéressé à la corde en tant que matériau.
Patrick Reymond expliquait alors à notre magazine: «La corde est constituée d’une enveloppe tressée, façon peau de serpent, et d’une seconde, insérée, plus résistante. Nous avons remplacé celle-ci par une tige. On s’est alors rendu compte qu’en les travaillant, on pouvait les insérer où on voulait dans le tressage et que cela nous permettait de créer différentes typologies. À partir de quelque chose de très basique, nous avons réussi à trouver de nouvelles dimensions d’utilisation. Ce qui nous a permis de développer les espaces scénographiques. Cette installation a ensuite fait des petits, puisque c’est le projet qui est à la base d’objets comme les lampes Foscarini.»
De la même manière, la libre circulation entre les domaines créatifs a permis à Atelier Oï d’aboutir à bien des projets. Pour donner un autre exemple, leurs expérimentations sur le son et les tissus qui ne s’effilochent pas ont conduit les trois hommes à s’intéresser à la notion de danse, de mouvement puis de derviches tourneurs. De là sont nés leurs drôles d’objets suspendus virevoltant qui – après avoir servi de décors d’installations – ont été édités sous forme de luminaires par Artemide (Les Danseuses, 2015).
À bien y regarder, le design d’Atelier Oï trouve souvent ses racines dans le monde naturel. Il s’inspire aussi de regards croisés, par exemple entre l’objet et l’espace dans lequel il s’insère, l’intérieur et l’extérieur, la petite échelle et la grande. Aux murs des magasins de bagages Rimowa, ces designers ont donné une matière à des valises (2016). Sur de grands paravents dans les showrooms de Pringle of Scotland, ils ont transposé des losanges iconiques de la marque de maille sous forme de treillis (2014).
À chaque fois, leurs projets ne sont pas simplement pensés en termes de formes, mais aussi d’applications, d’usage et de contexte.
Tout au long de sa carrière, Atelier Oï a tissé des collaborations dans plus de 40 pays à travers le monde. Si le bureau peut offrir aux marques de multiples services – création de produits, packaging, identité visuelle, scénographie événementielle, design de stands d’exposition, aménagement de boutiques –, c’est parce qu’il rassemble un grand nombre de compétences. Il comprend en effet des architectes, des architectes d’intérieur, des designers de produits, des scénographes et des graphistes.
Bien que cet anniversaire marque une étape, les valeurs d’Atelier Oï n’ont pas changé. Le bureau entend travailler dans la continuité. «Dans le chiffre 30, nous voyons surtout la possibilité de laisser tomber le trois et de repartir à zéro, en profitant de ce moment pour recommencer un nouveau cycle, comme la nature nous le montre chaque année», explique-t-il.
Parmi les nouveaux projets, signalons le lancement d’une collection limitée de pièces artistiques en verre soufflé – en collaboration avec WonderGlass – et la sortie imminente d’une montre pour Louis Erard. Surtout, évoquons l’ambitieux projet d’architecture à but non lucratif pour Smiling Gecko, une ONG fondée par le photographe Hannes Schmid afin de soutenir la population rurale du Cambodge.
Les deux entités ont uni leurs forces pour construire une House of Music ainsi qu’une université dans le domaine de l’agriculture et des sciences de l’environnement. Pour Atelier Oï ,«ce projet est un processus participatif et transdisciplinaire qui veut apporter la meilleure réponse possible aux besoins de la population». Quelle belle étape pour le trio!