Architecture

Le légendaire Palais Bulle

22 Juin 2021

Modulaires, dynamiques, malléables, générationnelles, «scalables»… en un mot adaptables: telles seront, nous dit-on, les maisons de l’avenir. Voilà en fait bien longtemps que la notion d’habitat évolutif agite les esprits. Vers la fin des années soixante, ce furent les «maisons bulles», construites dans le sud de la France par Antti Lovag, qui firent couler beaucoup d’encre. En particulier le visionnaire et légendaire Palais Bulle.

 

© Pierre Adenis, conception Andrea Eschbach. Parution EC5/2013

Construit entre 1979 et 1984 par l'architecte Antti Lovag pour l'industriel Pierre Bernard, le Palais Bulle est une villa de 1'200 m2 situé au bord de la mer Méditerranée à Théoule-sur-Mer. Elle fut rachetée par Pierre Cardin qui en acheva la construction.

 

En découvrant l’architecture inclassable et incroyable du Palais Bulle, on se demande quand même où ce bâtisseur est allé chercher tout ça! Ses origines cosmopolites, les igloos qu’il s’amusait à construire durant son enfance passée en Scandinavie et sa jeunesse de baroudeur ont sans nul doute nourri l’imagination du Hongrois Antti Lovag. Imagination qu’il a ensuite enrichie par des études d’architecture navale et de construction mécanique.

 

Le bâtisseur disait aussi avoir tiré un double enseignement majeur de son «passage» ultérieur aux Beaux-Arts de Paris: la nécessité de parfaitement connaître les matériaux qu’on entend utiliser pour construire et… de ne pas se soucier outre-mesure de la réglementation! De fait, deux de ses réalisations construites sans autorisation sont désormais inscrites au titre de monuments historiques. 

 

À coup sûr, Antti Lovag doit beaucoup aux créateurs aussi géniaux que novateurs avec lesquels il collabora successivement à une époque où commençaient à s’imposer de nouveaux matériaux de construction aux propriétés inédites. Dans les années cinquante, il travailla aux côtés du grand architecte Jean Prouvé (1901-1984) ainsi qu’avec le très savant ingénieur Vladimir Bodiansky (1894-1966) qui développa des bâtiments d’avant-garde à structure métallique. À partir de 1963, il fut l’élève de Jacques Couëlle, architecte autodidacte emblématique du mouvement de l’architecture-sculpture en béton projeté et sculpté. En 1965, il se passionna pour l’idée d’«architecture prospective» promue par Michel Ragon. Vers 1970, il collabora avec Jean-Louis Chanéac (1931-1993), lui aussi architecte autodidacte particulièrement doué, et avec l’architecte suisse visionnaire et poète Pascal Haüsermann (1936-2011): tous trois se démenèrent pour promouvoir un habitat alternatif composé de cellules susceptibles de se connecter les unes aux autres en fonction des souhaits de leurs occupants.

 

Antti Lovag s’inscrit dans le camp des architectes visionnaires des années soixante qui, à travers la construction de logements de forme organique, entendaient proposer des maisons capables d’évoluer en même temps que les changements de vie de leurs occupants. Parmi ses réalisations les plus célèbres, on compte bien sûr le Palais Bulle, mais aussi la Maison Gaudet à Tourrettes-sur-Loup (1969 à 1989), la Maison Bernard à Port-la-Galère (1971) et le Centre de recherches géodésiques et astronomiques de la Côte d’Azur (1974-1979).

 

 «L’architecture ne m’intéresse pas, déclarait Antti Lovag, qui ne se disait pas architecte, mais «habitologue». (…) Je travaille comme un tailleur, je fais des enveloppes sur mesure.» L’habitologue concevait les espaces depuis l’intérieur, par simulation: aux proportions en deux dimensions du canon humain debout, il ajoutait celles d’une troisième dimension, la gestualité, puis d’une quatrième , le déplacement. Le client se trouvait dès lors confronté dès le début à l’élaboration de sa propre maison. Il en résulte une infinie variété d’agencements possibles à partir de cylindres ou de sphères constituées par un réseau métallique ôtant toute distinction entre le sol, les murs et la toiture. 

 

© Pierre Adenis, conception Andrea Eschbach. Parution EC5/2013

Un aspect de l'intérieur d'une des multiples structures du Palais Bulle.

 

Afin de vérifier «la qualité de l’espace», Antti Lovag faisait rouler les bulles ferraillées autoportantes sur la parcelle à construire jusqu’à ce qu’elles «trouvent elles-mêmes leur place». Les finitions par projection de plâtre, de béton fibré ou de polymères se faisaient par la suite.

 

© Pierre Adenis, conception Andrea Eschbach. Parution EC5/2013

Palais Bulle.

 

Dissociant la triple fonction traditionnelle des fenêtres, Antti Lovag équipait les bulles de «skydomes», dont l’emplacement et l’inclinaison étaient étudiés au millimètre près pour favoriser la ventilation et diffuser la lumière sans jamais éblouir les occupants. Il créait aussi des «oculus» visant un objet particulier situé à l’extérieur – un arbre, un rocher, une plante – et des «baies» offrant une immersion panoramique dans le paysage. Associés, les trois types d’ouverture offrent un champ visuel quasiment hémisphérique.

 

© Pierre Adenis, conception Andrea Eschbach. Parution EC5/2013

Un geste suffit par ailleurs pour faire pivoter vers l'extérieur la paroi intégrant le coin repas.

 

Quant aux meubles, qu’il appelait «le gréement» par référence à l’architecture navale, il leur rendait leur mobilité en supprimant leurs pieds qui «non seulement ne servent à rien, pas même à se déplacer, mais en plus, gênent beaucoup». Antti Lovag concevait le bloc cuisine et le bloc lavabo comme des «meubles-espaces» qui se déplacent, se déploient ou se replient dans une alvéole pour libérer les lieux. Les «meubles-meubles» – table, canapé, voire cheminée de salon – sont fixés de telle sorte qu’une simple pression permet de les attirer vers soi ou de les repousser. Des modules repas et des modules salon incorporés à une paroi qu’un simple geste suffit à faire pivoter vers l’extérieur, autre façon de rendre leur mobilité aux meubles. 

 

© Pierre Adenis, conception Andrea Eschbach. Parution EC5/2013

Aménagement intérieur du Palais Bulle.

 

© Pierre Adenis, conception Andrea Eschbach. Parution EC5/2013

Aménagement intérieur du Palais Bulle.

 

© Pierre Adenis, conception Andrea Eschbach. Parution EC5/2013

Aménagement intérieur du Palais Bulle.

 

La rigidité des chartes normatives dans le secteur de l’habitat individuel a singulièrement fait obstacle au développement de ce type d’habitat évolutif – entre autres projets alternatifs. Mais Antti Lovag a transmis le flambeau à un certain nombre de personnes telles que Claude et Joël Unal, Hélène et Christian Roux, ou encore István Rácz. Le discret et infatigable «habitologue» est mort en 2014 à l’âge de 94 ans. 

 

© Pierre Adenis, conception Andrea Eschbach. Parution EC5/2013

Antti Lovag.

 



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