Design

Comment le graphisme suisse a acquis sa notoriété?

19 Jan 2023

Lorsque l’on pense aux produits typiquement suisses, des noms viennent instantanément en tête, d’autres semblent plus inaperçus. Tel est le cas des affiches, panneaux de signalétique et autres dispositifs de communication visuelle que l’on utilise dans la rue et au quotidien. Pourtant, le design graphique jouit en Suisse d’un statut élevé. Il est considéré comme une partie importante de notre patrimoine culturel. Quelques caractéristiques.

 

Le design graphique, et notamment celui des affiches, est de grande qualité en Suisse. Il occupe depuis des décennies une place importante dans notre paysage culturel et urbain. Un fait qui repose sur plusieurs facteurs.

 

D’une part, les collectivités publiques accordent beaucoup d’intérêt à l’affichage dans l’espace urbain, de la quantité des affiches jusqu’à leur emplacement. Ainsi l’affichage commercial, culturel et politique est soumis à des emplacements précis qui favorisent le mélange d’informations.

 

Par ailleurs, les institutions publiques comprennent qu’elles ont intérêt à miser sur de bons graphistes, produisant de belles affiches, pour accroître l’impact visuel de leur communication. Et cela d’autant plus que dans ce pays multilingue, l’image peut servir de dénominateur commun.

 

Enfin, et c’est l’un des points essentiels, la Suisse dispose d’un vivier conséquent de graphistes de qualité et d’une excellence de formation en la matière. Ces divers facteurs contribuent à transformer la rue en une sorte de musée vivant exprimant une certaine vision de la société contemporaine.

 

1. Une histoire précoce déjà riche 

 

© Museum für Gestaltung Zürich / ZHdK.

Photo de gauche: affiche créée par Herbert Matter pour l'Office du tourisme suisse. Photo de droite: Plakat, St. Moritz créée en 1937 Walter Herdeg.

 

Les affiches publicitaires suisses font rêver de longue date. Au début des années 1930, Herbert Matter (Engelberg) se fait connaître pour son utilisation novatrice du photomontage dans la publicité suisse. Il a intégré la photographie avec succès dans le graphisme publicitaire jusque-là fait uniquement à partir de dessins. À la même époque Walter Herdeg (Zürich) conçoit pour l’office de tourisme de Saint Moritz des affiches sur le principe du photomontage. Il crée un petit soleil qui deviendra le premier logo au monde pour une destination de vacances. 

 

2. Un style graphique nommé « suisse »

 

Affiche de Josef Müller-Brockmann en 1955. À découvrir sur le site Design Is History.

 

© 2018, ProLitteris, Zurich, avec l’aimable autorisation du Museum für Gestaltung de Zurich

Josef Müller-Brockmann, Juni-Festwochen Zürich – Stadttheater, 1961.

 

Le studio Supero, basé à La Chaux-de-Fonds, se revendique aujourd'hui graphiste « à la swiss style touch». Ici, affiches pour le Théâtre populaire romand, la plage des Six Pompes et le QG Quartier Général.

 

Le style typographique international, également connu sous le nom de style suisse, est un courant du design graphique développé en Suisse dans les années 1950. Cette époque est considérée comme l’âge d’or du graphisme helvétique.

 

Une fois sortie du chaos de la deuxième guerre mondiale, la question de l’identité visuelle est fortement présente sur le territoire suisse. La société est inconsciemment à la recherche de simplicité, de pureté; d’un langage visuel plus immédiat en adéquation avec l’ère industrielle, et qui transcende les difficultés de communication dues à la diversité des langues. Le style suisse apporte alors une réponse dans la mesure où il se veut tourné vers le futur, le modernisme et la technologie mais en même temps neutre et universel.

 

Les deux principaux fondateurs et influenceurs de ce style furent Josef Müller-Brockmann, professeur à l’École des arts et métiers de Zurich, et Armin Hofmann qui enseignait à l’École de design de Bâle. Ils commencèrent par réduire la communication visuelle à l’essentiel avec pour objectif la clarté du message, la simplicité des formes et l’effacement d’influence figurative. Ces graphistes puisent abondamment dans les théories et les mouvements artistiques du début du 20e siècle comme le Bauhaus et le constructivisme. Pour être précis, l’École de Zurich défendait les théories de « l’art concret », cette tentative d’arriver à l’absolu et d’échapper à l’imperfection. L’École de Bâle s’appuyait davantage sur la « Nouvelle objectivité ».

 

Quoi qu’il en soit des légères divergences entre graphistes, ceux-ci ont eu le mérite d’introduire et développer l’utilisation du système de grille dans la conception graphique (outil toujours largement utilisé). Leur travail avait en commun d’être caractérisé par une composition dépouillée et structurée, la précision des détails, et de la création et l’usage de polices sans empattement (explications plus bas). C’est ainsi que les pionniers du mouvement ont posé des règles immédiatement reconnaissables qui constituent toujours le fondement du design graphique dans notre pays.

 

Bien sûr, certains courants ont, par la suite, rejeté entièrement les principes de Müller-Brockmann et Armin Hofmann. Et ce style a d’abord concerné la Suisse alémanique. Cependant, de nombreuses affiches qui peuplent nos rues témoignent d’un retour vers l’héritage moderniste du « style suisse », tout en restant contemporaines et adaptées à la société actuelle. « Aujourd’hui, c’est plus diversifié, personnel, vivant et ludique. Mais on voit quand même l’héritage moderniste. Ça n’a jamais complètement disparu« , nous expliquait le graphiste Xavier Erni, cofondateur du studio genevois Neo Neo et cocurateur d’une exposition consacrée au graphisme suisse contemporain à la Cooper Union Gallery à New York (2016).

 

3. Des polices d’écriture qui ont fait le tour du monde

 

Photo de gauche: police Helvetica présentée dans le livre New York City Subway System: The True. Photo de droite: police Frutiger présentée par son propriétaire actuel Linotype.

 

En typographie, une police d’écriture (ou de caractères) est un ensemble de représentations visuelles représentant un alphabet. Les polices d’écritures sans sérifs (autrement dit sans petites « extensions » autour des lettres, sans « empattements » ou encore « en bâtons ») étaient déjà apparues aux XIXe siècle.

 

Pourtant, c’est à un suisse que l’on doit l’une des polices sans empattements les plus utilisées aujourd’hui.  Helvetica est une police sans sérifs créée en 1957 par Max Miedinger à Bâle qui l’a dessinée avec un objectif précis: avoir une police la plus harmonieuse possible. Symbole de la typographie suisse, cette police d’une grande lisibilité avec un tracé neutre s’est de tous temps prêtée à de nombreux usages sur des panneaux publicitaires, des menus, des panneaux de rue ou de train. Si les CFF l’ont adopté dans les années 1970 pour renforcer leur identité visuelle, elle est aussi devenue depuis 1989 un symbole du métro new-yorkais.

 

Le succès fulgurant de la Helvetica a légèrement dissimulé le travail remarquable du typographe bernois Adrian Frutiger qui, un peu avant, avait lui aussi conçu une police sans empattements: Univers (entre 1953 et 1957). Univers a été la première police de caractères à être déclinée en diverses variantes et graisses; elle connut un grand succès à sa sortie pour son élégance et sa lisibilité. Cependant, c’est une de ses variantes conçue dans les années 70 qui a le mieux traversé le temps à l’international. Ainsi, la police Frutiger (d’Adrian Frutiger!) est utilisée dans de nombreux lieux à l’international, par exemple pour la signalétique de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et sur toutes les autoroutes françaises. Depuis 2002, ASTRA-Frutiger est adoptée pour toutes les signalisations routières suisses. Bien d’autres polices de ce graphiste légendaire sont encore utilisées comme pour la signalétique de Disney World.

 

4. Des plateformes contemporaines de mise en lumière

Aujourd’hui, le designer graphiste suisse qui compte le plus à l’étranger est sans doute Ruedi Baur. Enseignant, conférencier, il est aussi le créateur de l’identité visuelle et de la signalétique du Centre Pompidou et d’autres lieux en France.

 

Cependant, plusieurs compétitions internationales mettent régulièrement en lumière d’autres graphistes helvétiques œuvrant dans le domaine de la communication visuelle et de l’affichage comme le European Design Awards, l’International Poster Triennal (Toyama, Japon) et le 100 Beste Plakate (réservé aux pays germanophones). Au niveau national, le Grand Prix suisse design de l’Office fédéral de la culture et le Design Preis Schweiz opèrent également une véritable action en ce sens.

 

Le suisse Martin Woodtli produit des affiches complexes et fascinantes avec une grande quantité de détails, en utilisant des techniques numériques mixtes. Il reçut le Grand Prix de International Poster lors de la triennale de Toyoma (Japon) en 2021.

 

Au chapitre des institutions, le Museum für Gestaltung de Zurich joue un rôle central dans la valorisation du patrimoine culturel « imprimé » car il s’agit de la seule institution en Suisse à collectionner, depuis 1875, des affiches, œuvres graphiques et objets design quotidiens. Le Mudac (le musée du design de Lausanne), quant à lui, contribue à donner un ancrage au graphisme romand à travers certaines expositions.

 

Parallèlement, d’autres plateformes sont apparues pour favoriser la création de points de convergence entre graphistes tout en leur donnant une visibilité inédite à leurs créations. Ainsi, Ligature.ch est une publication en ligne basée en Suisse traitant de la conception, la culture et la création visuelle. Le site internet Swiss Graphic Design Index recense – par villes et par artistes – de nombreuses affiches créées aujourd’hui. Et de nombreux posters d’origine suisse sont présentés sur typographicposters.com.

 

Le site internet Graphic Design Index.

 

Enfin, il existe un festival spécialement dédié au design graphique: le Weltformat Graphic Design Festival de Lucerne qui a lieu tous les ans. Entre expositions, symposium avec des graphistes et concours, cet événement veut initier un large public aux arts visuels et aux déclinaisons infinies qu’offre la communication graphique.

 

Weltformat Graphic Design Festival de Lucerne.

 



Partager cet article