Et si on adoptait des NFT?
Quelle somme pourriez-vous débourser pour un fauteuil virtuel? Combien seriez-vous prêt à payer pour la simple image d’un objet pour la maison? Et pourquoi faire? L’émergence de la technologie NFT a encouragé la création d’œuvres d’art et d’accessoires virtuelles qui n’existent que sur le Net. Comme nous sommes encore nombreux à nous demander à quoi ça sert, voici quelques explications aux côtés du designer romand Raphaël Lutz.
Apparue en 2017, les NFT sont un type de crypto-monnaie, autrement dit, une monnaie numérique qui s’échange de pair à pair sans l’intermédiaire d’une banque. Or, à la différence d’autres crypto-monnaies comme le bitcoin, chaque «jeton» de NFT est unique (« non fongible »). D’où leur appellation « NFT » qui vient de l’anglais « non–fungible token ».
Pour être plus explicite, quand vous achetez du bitcoin, chaque «jeton» peut être remplacé par un autre «jeton» de valeur égale, comme une pièce d’un franc peut être remplacée par une autre pièce d’un franc. En revanche, quand vous achetez un «jeton» de NFT, vous achetez un fichier numérique qui n’a pas les mêmes caractéristiques qu’un autre «jeton» de NFT. C’est un peu comme si vous aviez investi dans une carte à collectionner unique en son genre. Vous pouvez estimer sa valeur en argent sur le marché, mais vous ne pouvez pas l’échanger contre une autre carte dont la valeur est définie de manière objective comme strictement identique.
Le succès des NFT s’explique par le fait que cette technologie permet d’authentifier et de garantir la propriété des objets numériques. En effet, chaque NFT est enregistrée dans la blockchain que l’on pourrait comparer à un très grand cahier informatique sur lequel tout le monde peut écrire, mais qu’il est impossible d’effacer ou de détruire.
Certes, il est toujours possible de copier un dessin numérique publié sur Internet, en faisant une capture d’écran par exemple. Mais une seule personne peut détenir un NFT original qui est reconnaissable grâce à un chiffrement généré par la blockchain.
Cette notion de propriété explique le succès des NFT. Ceux-ci ont d’ores et déjà fait émerger un marché de l’art virtuel qui pèse plusieurs millions de dollars. Ils intéressent aussi les joueurs qui aiment se plonger dans des espaces virtuels parallèles au monde réel afin de partager des expériences immersives. On appelle l’ensemble des ces univers parallèles le métaverse et les NFT permettent aux joueurs d’apporter la preuve qu’ils y possèdent un objet.
Aujourd’hui, le marché des NFT devient plus accessible au grand public. C’est en tous cas dans ce sens que s’inscrit la démarche du designer Raphäel Lutz, pourtant coutumier de la création d’objets bien tangibles. Interview.
Vous avez créé le FNT Côtes Numériques (photo ci-dessus) . Comment avez-vous envisagé l’utilisation de cette horloge virtuelle?
– Il y a plusieurs possibilités d’utilisation de notre horloge Côtes Numériques. En effet, l’acquéreur se voit remettre un lien unique qui lui permettra de profiter de son horloge sur son smartphone avec le choix entre trois couleurs et de l’afficher virtuellement où bon lui semble grâce à la réalité augmentée. Ceci est une première incursion dans le métaverse.
Ensuite, il se voit également remettre le fichier 3D qui lui permettra de l’intégrer dans sa propriété dans n’importe quel métaverse (Decentraland, Sandbox, etc.). Et, au final, il pourra même l’intégrer sur n’importe quel support digital (montre, horloge de smartphone, etc.).
Le propriétaire d’un objet NFT est-il le seul à pouvoir voir cet objet ?
– Oui, le NFT est le certificat d’authenticité (à la manière du petit certificat que vous recevez avec un carré Hermes) et le propriétaire aura l’une des 99 éditions minées pour l’occasion.
Comment avez-vous fixé le prix de votre horloge NTF Côtes numériques, qui est de 199 francs?
– Nous nous sommes basés sur un prix acceptable par rapport à l’objet digital reçu. En réalité, nous aurions pu le vendre beaucoup plus cher, mais nous voulions rendre ce projet abordable pour permettre une première incursion dans le métaverse et faire un NFT facile d’accès que l’on peut acheter sur notre site Internet avec sa carte de crédit et ceci, même si on n’y connaît rien.
Il y a encore peu de temps, le décor des jeux vidéos et des mondes virtuels étaient dessinés par des «game designers». En tant que designers «d’objets physiques», qu’est-ce qui vous intéresse dans ce domaine?
– Le métaverse suscite un énorme intérêt de la part de particuliers, mais également de la part de grandes marques. Ce sont des territoires incroyables à explorer en tant que designers pour amener une rationalité tout helvétique dans l’aménagement de ces espaces. Aussi digitaux soient-ils, ils peuvent faire l’objet d’aménagements pensés et dessinés en fonction de règles du monde physique avec une pointe de folie irrationnelle permise par le digital.
Est-ce que vous envisagez de réaliser une version physique de l’horloge NTF Côtes Numériques?
– Nous poursuivons nos discussions avec des horlogers pour la rendre tangible et la faire exister dans notre réalité physique, mais nous pensons que ce projet est aussi une remise en question de la matérialisation ou non des objets que nous dessinons.
Devons-nous toujours produire les objets que nous dessinons pour en profiter? La position avec Côtes Numériques est qu’une horloge murale est quasiment le seul objet que nous ne touchons pas mais que nous utilisons au quotidien. Si l’on rajoute le fait que l’on lit l’heure avec nos téléphones et que le smartphone est le médium principal pour accéder à notre horloge, nous essayons de poser de nouveaux paradigmes d’utilisation et répondre aux évolutions sociétales (comme le métaverse ici).
À l’inverse, est-ce que vous envisagez de réaliser une version NTF des objets que vous créez dans la réalité?
– Nous sommes convaincus que le métaverse est une composante importante pour le travail des designers d’objets et que la qualité des rendus va follement et rapidement s’améliorer pour laisser une place importante à l’expérience que nous pouvons vivre dans le métaverse.
Quand certains y voient un refuge à notre monde réel, nous y voyons un terrain de développement sans limites pour les designers. À la manière des premiers sites internet qui ont amené le design digital, nous voyons des bureaux de design et d’architecture se développer dans le métaverse et transférer une rationalité dans la pensée de ces espaces.
Nous sommes aussi très fiers de faire partie des premiers designers suisses à proposer des projets allant dans ce sens avec une composante majoritairement centrée sur l’utilisateur lambda. Alors oui, nous allons poursuivre cette démarche de dialogue entre nos objets dans la vie réelle et dans le métaverse, et continuer à aménager des espaces tant réels que virtuels.
Dans le cadre de nos projets de design, nous passons une bonne partie de notre temps de conception et de design à transférer et traduire nos idées en 3D et en rendus pour le compte de nos clients. Ceci nous aide à nous représenter une forme de réalité avant la production. En fait, si on analyse bien, nos objets et nos projets existent d’abord dans une réalité virtuelle avant d’être produits. De là à les inclure dans le métaverse également, il n’y a qu’un pas logique dans notre travail de designers.