Fichtre, l’art du tracé hors cadre
Dans chaque numéro d’Espaces contemporains, la décoratrice Élodie Raneri (J’aime pas les dimanches) nous livre un de ses coups de cœur du moment. Ce mois-ci, elle nous fait découvrir l’artiste graphique suisse Mathias Forbach, alias « Fichtre » comme le mot d’exclamation. Un créatif qui, à travers les images, sait à merveille suggérer des histoires, du mouvement et des fragments d’univers en mutation.

Mathias Forbach, alias Fichtre.
C’est lors d’un de ces moments de « parenthèse productive » que nous rencontrons Matthias Forbach – alias Fichtre. Carnet à la main, il dessine, note, explore. Que ce soit dans un bus, à la terrasse d’un café, face à un paysage ou entre deux correspondances, il esquisse des personnages abstraits, des fragments d’univers, des idées en germination. Il façonne des mondes dans la répétition de gestes instinctifs, dans des tracés presque automatiques, à la manière des refrains qui reviennent sans qu’on y pense. Comme si le dessin était une forme de respiration.
Depuis un an, il réalise ses croquis au stylo plume. Car l’artiste aime que cet outil de précision soit aussi un vecteur d’imperfections expressives: il génère des bavures, des ratures, des tremblements, qu’il ne faut surtout pas colmater car ce sont autant de marques de vie. C’est ainsi que chaque page de son carnet de bord prend la forme d’un laboratoire d’idées.
Si certains croquis resteront à l’état d’ébauche, d’autres se transformeront en fresques, en projets d’édition ou en œuvres exposées.

Fichtre.
Une pratique née dans la rue
Originaire de Vevey, Matthias a grandi dans le canton de Vaud. Il commence à dessiner dans les années 90 avec un ami, influencé par le style des tags et du street art. Ils passaient alors leurs week-ends à dessiner sur des autocollants, qu’ils collaient ensuite dans la rue. Ce jeu de création spontanée, nourri par l’énergie du graffiti et de la rue, a peu à peu ouvert la voie à une démarche plus artistique. Des commandes arrivent, des expositions s’enchaînent, des performances en live aussi. Dans cette effervescence, naît le pseudonyme « Fichtre » que l’artiste choisit pour dessiner en solo.

Fichtre.
Avec le temps, son envie de développer un langage personnel ne cessera de s’affirmer et son style deviendra de plus en plus reconnaissable. Dans le travail de l’artiste, rien n’est jamais figé. Chaque œuvre contient des couches de sens, des niveaux de lecture, des passerelles entre texte et image. Il veut que ses œuvres interrogent, qu’elles résonnent, qu’elles rendent heureux.

Fichtre.
Au cœur de ce langage, la couleur occupe une place essentielle : « la résonance des couleurs est primordiale », confie-t-il. S’il a longtemps hésité avant de s’y engager, par crainte de “passer à côté”, elle est devenue centrale dans sa démarche depuis la découverte du travail chromatique de Le Corbusier.
Un artiste en mouvement
Installé à Bâle depuis trois ans, Fichtre partage aujourd’hui un atelier avec d’autres graphistes. Avoir un espace dédié à la création a marqué un tournant dans sa pratique : « L’atelier, c’est devenu une forme de stabilité », confie-t-il. Longtemps, tout se faisait dans son salon. Aujourd’hui, il navigue de canton en canton, porté par ses mandats et ses projets.
Du décor d’un avion Swiss pour la Fête des vignerons, à des baskets pour Camper, en passant par une carte blanche pour les 20 km de Lausanne, Fichtre aime multiplier les terrains de jeux. Parmi ses réalisations récentes, on trouve une fresque créée pour “À l’Abordage”, un événement artistique éphémère à Lausanne, imaginé par les frères De Francesco. L’œuvre, peinte directement sur une porte de garage, devait guider les visiteurs vers une exposition cachée derrière. Actuellement, il collabore avec Arcadie, un bureau d’architecture à Lausanne, sur un projet privé et travaille sur les illustrations avec média suisse.

Fichtre.

Fichtre.

Fichtre.
Mais le projet le plus personnel de Fichtre reste sans doute son livre Devenir Dessin — une rétrospective de plus de dix ans de création- qu’il a conçu sur six mois. On y découvre des dessins extraits de ses carnets, des paysages, des corps esquissés, des mots en français et en anglais, des fragments de pensées, parfois philosophiques. Ce livre est un jalon dans son parcours, un miroir intime de son évolution artistique.
Car au fond, ce qui relie l’ensemble de son travail, c’est une attention constante à ce qui le traverse, l’émeut, le questionne. Matthias se décrit comme un artiste sensible, attentif à ses émotions, à ses intuitions. Cette sensibilité, il la déploie dans chacun de ses projets. « Je dois toujours me poser la question de mon ancrage dans chaque projet” confie t’il ainsi. Une démarche qu’il partage également à Sierre, où il intervient chaque semaine auprès d’étudiants en graphisme.