Design

Penser comme les plantes

02 Mar 2022

Ce ne sont plus seulement les formes de plantes qui inspirent les designers aujourd’hui. Leur processus de métamorphose, les secrets de leur matière, leurs vertus pour la santé mentale et physique passionnent davantage. En effet, les plantes ont encore bien des choses à nous apprendre pour fabriquer des objets qui font sens.  

 

L'architecte David Benjamin et sa société The Living développent des matériaux à base de bactéries. L'objectif est de construire des bâtiments hautement performants, dont l’impact sur l’environnement sera moindre que celui des méthodes traditionnelles.

 

Méthode d’observation et de formalisation, le design d’objets s’est inspiré de la nature à bien des occasions. Des protagonistes de l’Art Nouveau aux frères Bouroullec (et leur Vegetal Chair de 2014), nombreux sont ceux qui ont entrepris de copier les formes organiques pour repenser notre environnement matériel.

 

Mais l’urgence climatique amène aujourd’hui les designers à porter un autre regard sur la nature. Partout dans le monde fleurissent des projets dans lesquels les êtres botaniques ou bactériens sont considérés comme nos alliés pour bâtir un monde matériel plus écologique et plus positif.

 

On parle de biomimétisme pour désigner la pratique qui consiste à appliquer des solutions issues de la nature afin de concevoir des produits ou des services durables et efficaces. On utilise aussi le terme de biodesign pour qualifier une pratique nouvelle qui cherche à créer avec de la matière vivante.

 

Sous la houlette de la science et des technologies, le biodesign a déjà permis d’engendrer des objets vivants innovants. L’architecte américain David Benjamin a mis au point des matériaux dans lesquels les bactéries génèrent des plaques de construction ou des jointures de briques. De même, l’agence française XTU mène des recherches autour d’une architecture bio-inspirée, convaincue que les organismes vivants sont la révolution biotechnologique de demain car ils réduiraient l’empreinte carbone du bâtiment.

 

L’un des premiers objets à base de cellules génétiquement modifiées a été le luminaire du designer Joris Laarman (Half Life Lamp, 2010). Celui-ci brillait dans le noir grâce à l’ajout d’une enzyme appelée luciférine. S’il s’agissait d’un projet expérimental, d’autres produits à base de cellules actives sont d’ores et déjà sur le marché. La marque Mogu propose, par exemple, des panneaux acoustiques en mycélium, un matériau écologique et vivant issu du champignon.

 

Lampe bioluminescente Half Life Lamp de Joris Laarman.

 

Sont aussi apparus des projets de domestication du végétal vivant moins connectés aux avancées scientifiques. À l’image de celui du Britannique Gavin Munro. Le designer réalise des meubles en bois en laissant travailler la nature, tout simplement. C’est en faisant pousser des saules – orientés à l’aide de tuteurs – qu’il produit des formes de chaises et de tables.

 

Chaise en bois ayant poussé tout seul du biodesigner Gavin Munro.

 

En pleine période de crise écologique, plusieurs musées se sont aussi interrogés sur la manière d’instaurer une nouvelle relation entre les humains et leur environnement à travers la production d’objets. En 2019, la Triennale de Milan inaugurait l’exposition Broken Nature et Le Centre Pompidou à Paris La Fabrique du vivant. En 2021, le musée belge du Grand Hornu présentait une vaste exposition sur les liens entre nature et design, intitulée Plant Fever.

 

Cette belle exposition est aujourd’hui visible en Suisse au  Museum für Gestaltung de Zurich jusqu’au 3 avril 2022. Elle rassemble une cinquantaine de projets et nous fait la délicieuse proposition de regarder les plantes autrement.

 

Plant Fever dénonce ainsi une tendance générale à la cécité botanique (appelée aussi plant blindness) que l’on pourrait définir par une sorte de biais cognitif nous rendant indifférents aux végétaux. Les plantes sont en effet souvent considérées comme de simples décors dans l’espace alors qu’elles portent en elles des solutions inédites aux questions environnementales et humaines de notre temps.

 

L’exposition – qui assume son côté militant – défend le rôle à jouer d’un design phytocentré, autrement dit, d’un design qui prend les plantes comme sujet d’exploration. Celui-ci peut nous aider à changer de perspectives et à envisager de nouvelles frontières entre naturel et artificiel. Il a tout simplement le mérite de replacer la végétation au centre de notre curiosité.

 

 

Apprécier l’immense palette de matières offertes par les plantes

 

La diversité de matières qu’offrent les plantes pour la création d’objets est encore méconnue.  Aujourd’hui, les matériaux végétaux permettent des formes d’expression inédites: vases en fleurs fanées séchées, étoffes en lin teintées avec des plantes médicinales, chaussures en feutre de chanvre, papier réalisé avec des plantes invasives… Cet élan prospectif vise à dépasser les choix évidents du cuir ou du plastique dans l’aménagement d’intérieur et la mode. Il a aussi pour objectif d’éviter les monocultures. Il permet enfin  d’élaborer des matériaux plus sains pour la santé.

 

© Stephanie Potter Corwin

Chaussures en feutre de chanvre Hemp Shoes, Liz Ciokajlo. Exposition Plant Fever.

 

 

Dialoguer avec le monde végétal

 

Établir une relation entre l’homme et les êtres botaniques passe aussi, certainement, par le biais émotionnel. Or, le design phyto-centré élabore des accessoires qui nous encouragent à entretenir un regard attentif sur le vivant. Un curieux « porte-plantes » nous invite à aller vers les végétaux et à nous y intéresser. Un potager d’intérieur ou urbain nous reconnecte à l’essentiel. On pourrait, du reste, les envisager pour des cultures exotiques dans nos villes, en utilisant la chaleur perdue des unités de réfrigération comme le propose le designer Markus Jeschaunig avec un projet de bulle tropicale.

 

©Simon Oberhofer

Projet Oasis N°8 de Markus Jeschaunig dans la ville de Gratz (Autriche). Alimenté par la chaleur perdue des unités de réfrigération d'une pizzeria et d'une boulangerie, il crée un microclimat tropical pour la culture de bananes, d'ananas et de papayes. Exposition Plant Fever.

 

Enfin, d’autres voies sont possibles pour nous reconnecter à la végétation, comme celles ouvertes par la Britannique Helene Steiner avec le projet Florence. On lui doit l’invention d’une interface numérique traduisant les impulsions électriques des plantes, et donc leur langage. À bon entendeur!

 

© Helene Steiner. Microsoft research

Projet Florence permettant de traduire le langage des plantes. Helene Steiner. Exposition Plant Fever.

 

 



Partager cet article