Architecture, design et plastiques gonflables
Après avoir été présentée au Centre Pompidou-Metz, l’exposition Aerodream s’est retrouvée à l’affiche de la Cité de l’architecture & du patrimoine de Paris. L’occasion de revenir sur les grandes lignes de l’architecture et du design « gonflables » des années soixante. Ce phénomène culturel bref mais phare continue d’influencer la création contemporaine.

Pont Trampoline imaginé pour Paris par AZC architectes. Image de synthèse.

Vue de loin du Pont Trampoline.
À l’origine se trouvait un rêve collectif. Celui de s’arracher à la pesanteur à travers des bulles gonflables et des structures pneumatiques.
Historiquement, le phénomène culturel fut court – une dizaine d’années entre le milieu des années 1960 et 1973 –, mais non moins important. De nombreux artistes, architectes, ingénieurs et designers se sont alors emparés de l’air comme support pour concevoir des objets, des événements, des bâtiments et des espaces urbains, suivis avec intérêt par une population enthousiaste.
Le gonflable donna lieu à des constructions ludiques et à des objets de couleur vive, rappelant l’imagerie du pop art. Mais il recelait aussi des messages critiques et politiques.
Le gonflable dans les arts plastiques des sixties:
un prisme pour voir le monde autrement
L’air en tant que matériau artistique s’envisage au départ comme un jeu. En décembre 1919, Marcel Duchamp encapsule l’art en enfermant dans une ampoule pharmaceutique de l’air à Paris qu’il transporte à New York. Mais c’est au début des années soixante que le gonflable s’inscrit pleinement dans la création artistique.
Le gonflable stimule un imaginaire lié à la mythologie du vol et de l’aérien. Il représente une métaphore de la peau et incite à voir le corps autrement. Quant au caractère impermanent de l’air, il encourage de nombreux artistes à donner une nouvelle dimension temporelle à l’œuvre: celle de l’événement, de l’action, de la participation.
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Dès les années cinquante, Lucio Fontana, commence ainsi un travail autour de l’air et du spatialisme qui influencera massivement ses contemporains. Parmi eux, citons Piero Manzoni qui réalisa des ballons remplis de son propre souffle comme une évocation de l’artiste-créateur. Otto Piene (le cofondateur du groupe ZERO) et le collectif Gruppo T concevaient des installations gonflables avec des tubes remplis d’hélium.

L'œuvre Grande Oggetto pneumatico du Gruppo T (1959-1960). Vue de l'exposition à la Cité de l'architecture Paris.
Dans les années soixante, le gonflable inspire également bon nombre d’artistes célèbres comme Yves Klein, Andy Warhol, Grahm Steven ou Christo. Il devient un support de création pour des mouvements artistiques comme le spatialisme mais aussi l’art conceptuel et le happening.

Œuvre de Graham Steven, Atmosfield, St. Quai Katharine, Londres, 1968.

Christo and Jeanne-Claude, 42,390 Cubic Feet Package, Minneapolis, Minnesota, 1966.
Le gonflable dans l’architecture des sixties:
entre récit technologique et influences artistiques
L’exploitation en architecture du gonflable est d’abord liée à l’histoire technologique. On pense immédiatement à l’invention des aérostats et des dirigeables ainsi qu’au développement industriel des pneus en caoutchouc. Mais les usages militaires des structures gonflables réalisés au cours de la Seconde Guerre mondiale (par ex: leurres tactiques pour tanks) ont également eu un impact significatif sur la mise en valeur du matériau. De même pour les recherches de la NASA qui s’est emparée des formes gonflées pour créer des ballons-sondes ou des radômes (ballon en matière transparente protégeant un radars).

Les radômes créés par Walter Bird en 1946 étaient destinés à protéger les radars radio des intempéries.
C’est suite aux développements manufacturiers et militaires, et grâce au formidable optimisme industriel que le gonflable va trouver une fonction architecturale. Les expérimentations sur l’air réalisées dans le milieu artistique influenceront, elles aussi, certains architectes.
En 1957, Frank Llyod Wright présente le Rubber Village composé d’Airhouses (des maisons gonflables) à l’occasion de la New York International Building Home Exhibition. L’architecte, dont la renommée n’est alors plus à faire, légitime ainsi le gonflable comme moyen de proposer des espaces de vie innovants et abordables.
Dans leur sillon, les années soixante voient naître une ribambelle de projets de bâtiments «sans fondations», imaginés parfois à l’échelle urbaine. Dans ses dessins utopistes, l’architecture gonflable apparaît comme une architecture de l’air, se soustrayant à l’occupation du sol, à l’inscription définitive et irréversible dans le temps et l’espace et récusant les matériaux lourds. Le débat écologique s’impose alors sans défiance à l’égard du plastique et des dérivés du pétrole.
Du côté des applications concrètes des structures gonflables dans le bâtiment, citons le travail de Walter Bird qui, après avoir construit des radômes (voir photo ci-dessus), détourna le principe de la bulle gonflable pour couvrir les piscines extérieures (1956).
On peut aussi mentionner l’Américain Richard Buckminster Fuller qui trouva dans les gonflables un aboutissement de ses recherches sur les dômes géodésiques.
De même, l’Allemand Frei Otto (lauréat du Pritzker 2015) explora la géométrie de la bulle de savon pour concevoir moult réalisations, notamment des serres, des silos à grain et le pavillon gonflable de l’exposition universelle de Rotterdam (1958).
C’est du reste en matière de pavillons gonflables que s’est trouvée l’application la plus évidente de l’utilisation de l’air en architecture à cette époque.

Exposition universelle d’Osaka, 1970. Le pavillon des États-Unis – réalisé par Davis, Brody and Associates – est constitué d'un toit à membrane unique maintenu par un système de câbles.

Exposition universelle d’Osaka, 1970. Le pavillon Fuji à multimembranes autoporteuses, réalisé par l’architecte japonais Yutaka Murata.
Parallèlement, plusieurs personnalités adoptèrent des positions critiques, à la frontière entre l’art et l’architecture. À l’habitat minimum du fonctionnalisme moderne, ces architectes vont opposer une vision extrême et initier un mouvement critique des formes traditionnelles de l’habitat.
Telle est ainsi la position de l’architecte Hans Hollein (lauréat prix Pritzker en 1985), du groupe britannique d’architectes Archigram et du collectif autrichien Haus-Rucker-Co.

L'architecte Hans Hollein manifeste le désir de supprimer les frontières entre intérieur et extérieur. Exemple avec ce bureau Mobiles Büro (1969). Gonflable et portable, il est fait d'une bulle qui permet de travailler n'importe où.

Les membres du Haus-Rucker-Co – un collectif viennois composé d'artistes et d'architectes – s’approprient le gonflable comme outil de libération de toutes les pesanteurs, qu’elles soient naturelles ou sociales. En 1972, ils proposent une expérience de l'habitat en quasi apesanteur.
Le design gonflé des années soixante:
une efflorescence ludique
À la fin des années soixante, d’importantes expositions donneront aux gonflables une image publique. Dès lors, ils s’imposent comme un phénomène culturel, un mode de vie et s’incarnent au travers de multiples formes, mobiliers, structures en adéquation avec une nouvelle manière d’appréhender notre environnement.
Les polymères plastiques qui se généralisent ouvrent à une extraordinaire efflorescence de créations. Quasar Khan invente le mobilier gonflé en plastique avec la collection Aerospace en 1968.

Quasar débute sa carrière comme ingénieur en France et réalise des expériences avec l'air comprimé pour concevoir des structures gonflables. Fasciné par la transparence et la solidité des matériaux plastiques, il lance en 1967 sa marque de mobilier gonflable. Ici, la chauffeuse Apollo.

Fondé à Paris en 1966, le groupe A.J.S. Aérolande entend mettre les nouveaux matériaux technologiques au service de ses utopies politiques et propose du mobilier pneumatique.
De même, le mobilier de Bernard Quentin, A.J.S. Aérolande, De Pas, d’Urbino et Lomazzi, accompagneront l’imagerie du pop art et celle d’une translucidité des décors.
De la fin de l’engouement pour le gonflable à sa renaissance
La crise pétrolière de 1973 sonna le glas de l’idéologie prônant l’usage des plastiques et , par conséquent, du gonflable. Le gonflable s’efface progressivement, le courant post – moderne mettant à mal l’image de ce produit industriel.
Il faudra attendre les années 2000 pour que des artistes et des architectes s’intéressent à nouveau structures gonflées d’air.

Le sculpteur anglais Anish Kapoor, associé à l’architecte japonais Arata Isozaki, a créé ici la première salle de concert gonflable au monde (500 places). Cette structure mobile est ici présentée au Festival de Lucerne Ark Nova 2013.

L'architecte britannique Nicholas Grimshaw a conçu plusieurs dômes géodésiques comme Eden Project (2000).

Le stade de football Allianz Arena à Munich des architectes Herzog et De Meuron (2005). L’enveloppe transparente des façades est réalisée avec une double peau en ETFE et constituée de milliers de coussins d’air gonflés à flux constant, soutenus par une structure métallique.

Skum Pavilion de Copenhague, signé Big Architects en 2016.
Aujourd’hui, l’apparition récente de textiles organiques laisse présager le développement de recherches où le gonflable pourra offrir des options innovantes à l’architecture, au design, et introduire de nouveaux principes constructifs.